Relations Internationales - conférence du 24 mars 2022 sur la situation en Ukraine
Retranscription de la conférence sur la situation en Ukraine
24 mars 2022
Sur l’invocation du droit à la légitime défense de la Russie
Intervention de Mme El Boudouhi, qui a publié sur Moodle
Il y a un enjeu sur les termes selon que l’on parle de crise, de guerre, d’agression, de recours à la force ou encore de recours militaire spécial. La Russie parle de recours militaire spécial, tandis que le commun des mortels parle de guerre. Dans la Chartes des Nations Unies le terme de guerre n’apparaît que pour parler du fléau de la guerre, qui désigne les deux première guerres mondiales, un peu comme si dans le modèle de sécurité collective il n’y avait pas de guerres. On privilégie les termes de recours à la force pour éviter de rentrer dans des qualifications qui ne sont pas à proprement parler juridiques.
Le terme d’agression : il s’agit ici d’un vrai fait juridique qui apparaît dans la Chartes des Nations Unies, qui est attaché à des conséquences soit en termes de mesures décidées par le Conseil de Sécurité soit en terme de légitime défense. Là, que ce soit le recours à la force ou l’agression, ce sont des termes juridiques.
Une fois cette précaution prise, comment fait-on pour qualifier la situation de cette guerre, si l’on reprend le langage courant ? On se rapporte à la presse, mais surtout au discours juridique de l’État concerné. On a beaucoup vu, à propos de la Russie, que le gouvernement russe piétinait le droit international, mais ce qui est frappant est que Poutine utilise fréquemment le langage du droit international. On le voit dans la déclaration du 2 février, envoyée au conseil de Sécurité et annexée au mémoire présenté par la Russie dans la procédure devant la Cour internationale de justice – l’Ukraine a demandé des mesures conservatoires à la Cour internationale de Justice sur la prévention et l’interdiction du génocide, au prétexte qu’elle avait été accusée par la Russie de Génocide pour permettre cette agression. La Cour a rendu un décision dans laquelle elle ordonne ces mesures conservatoires, alors qu’il pourrait y avoir débat sur le fondement et la compétence. La Russie a annexé cette déclaration dans laquelle elle expose son raisonnement juridique et pourquoi elle le fait conformément au droit international.
La Russie habille ses discours en des termes juridiques et avance ainsi une justification à son recours à la force. Il faut revenir à la base : l’interdiction du recours à la force date de 1928, du pacte de Briand-Kellogg qui parlait de l’emploi de la guerre en tant qu’instrument de politique nationale – en 1928 encore la notion était encore acceptable mais en 45 l’article 2 paragraphe 4 cite : « les membres de l’organisation s’abstiennent de recourir à la menace ou à l’emploi de la force soit contre l’intégrité territoriale soit contre l’indépendance de tout état […] sauf exception ».
C’est cette disposition, qui dispose que le recours à la force est en principe interdit, sauf exception, qui est invoqué. Habituellement on identifie soit deux, soit trois exceptions, selon la position doctrinale :
- le cas légal, celui d’une autorisation par le Conseil de Sécurité. C’est un recours multilatéral à la force, cf ART 39 à 42 de la Chartes, Chapitre 7.
- la légitime défense, qui est une norme coutumière, et qui figure Chapitre 7 ART 51 de la Charte. Elle peut être individuelle ou collective.
- d’aucuns considèrent qu’on est dehors de l’interdiction, ce qu’on appelle l’intervention sur invitation, plutôt dans le cadre de guerres civiles et non pas de conflit international puisque, si c’est le cas, cela relèverait de la légitime défense collective (en tout cas il peut y avoir confusion). Cette troisième exception est discutée car il n’y a pas attaque de l’intégrité territoriale puisque l’État demande de l’aide, en plus d’autres questions qui se posent.
La troisième et la première exception ne sont pas valables. Le parallèle avec la guerre en Irak a souvent été fait. Poutine s’attarde dans sa fameuse déclaration sur les dégâts, la violation du droit international à l’occasion de l’Irak car il y avait des résolutions qui portaient dessus, notamment du 8 novembre 2002, dont les américains faisaient découler une autorisation implicite et évoquaient de façon audacieuse des résolutions de 90-9 en disant qu’il y avait des autorisations explicites qui n’avaient jamais pris fin. Ce n’est néanmoins pas le même contexte, donc aucun lien avec une quelconque résolution de sécurité.
Reste la légitime défense, la justification qui est ici avancée, et qui reste la plus malléable. La Russie n’est pas le premier État à la mobiliser de manière extensible, mais peut être le seul à le faire avec le moins de fondements factuels. C’est même caricatural en terme de malléabilité, tant la matérialité du terrain est niée.
Sur la légitime défense, on peut citer un extrait de cette lettre envoyée par la Russie : « la décision de lancer l’opération spéciale l’a été conformément à l’ART 51 de la Chartes des Nations Unies […] et en application du traité d’amitié et d’assistance mutuelles signé avec les républiques populaires de Lugansk et du Donbass.
La Russie, on le voit, se prévaut expressément de la légitime défense et le fait en procédant à un effort juridique, fait pour habiller son discours, puisque comme préalable à la l’invocation de al légitime défense collective la Russie a du reconnaître les deux provinces séparatistes comme des États souverains, car ce n’est qu’à ce moment-là qu’elle pouvait se prévaloir de cette légitime défense collective. Elle a même pris le soin de conclure un traité avec ces soit-disant nouveaux États souverains par lequel elle s’engage, ce qui n’était pas vraiment nécessaire. Il y a donc un effort supplémentaire. Évidemment cette reconnaissance est discutable, bien que ce ne soit pas la première, cf 2008.
La Russie invoque systématiquement la théorie de la sécession-remède, c’est-à-dire que le principe est celui de l’intégrité territoriale de l’État, sauf cas exceptionnel d’une particulière gravité où il y a des souffrances, des violations graves des droits de l’homme. Ce qui est intéressant c’est qu’elle l’a appliqué en 2008 mais l’a refusé pour le Kosovo, alors qu’il y avait une vraie dépression du gouvernement central. Cela lui permet de dire « ces États m’appellent à l’aide », reconnaissance qui, vu le contexte, semble contraire. De manière plus confuse, il y a une référence à la légitime défense individuelle aussi, à côté de cette légitime défense collective, car on voit qu’elle protège les russes qui feraient l’objet d’un génocide sur son territoire.
Quels sont ces critères à la légitime défense ?
- les conditions formelles : la Russie fait une lettre au Conseil de Sécurité pour informer du recours à la force pour se protéger.
- les conditions matérielles : la Chartes dit qu’il faut faire l’objet d’une agression armée qui doit avoir eu lieu. Évidemment il n’y avait pas d’agression armée contre les républiques séparatistes, mais, par extension, sans rentrer dans les débats doctrinaux, on peut accepter que cette agression armée, bien qu’elle n’ait pas eu lieu, soit certaine et imminente. C’est là où apparaît une notion très controversée de légitime défense préventive, dont se prévaut la Russie, entre les lignes, puisque ce concept de légitime défense préventive va à l’encontre de l’idée que l’attaque soit certaine et imminente. Cela vient étendre le droit à la légitime défense. Ce sont les israéliens puis les États-Unis qui l’ont inventés : on avait invoqué des attaques potentielles, Israël en 75 contre le Liban, en 81 contre le réacteur nucléaire en Irak,ce qui a été condamné par le Conseil de Sécurité avec la voix des 5 membres permanents qui contestaient cette notion de légitime défense préventive.
Cette notion a été systématiquement rejetée par la très grande majorité des États, par le Conseil de Sécurité en 81 mais aussi par les conseillers juridiques du gouvernement britannique lors de la guerre en Irak. Le concept est loin de faire partie du droit positif, et pourtant ces pratiques ont suffit à l’intégrer dans le discours des États au moment où ça les arrangeait plus ou moins.
Dans le cas de la Russie, la menace qui est invoquée c’est le risque d’un génocide imminent contre les russes dans ces régions séparatistes. D’une part, ce risque de génocide imminent remplit deux objectifs : il permet d’asseoir la doctrine de la sécession remède, puisqu’il dit certes que la sécession n’est pas permise sauf risque de génocide, et d’autre part il justifie la légitime défense collective : l’attaque armée dont il est question, c’est le risque qu’il y ait une attaque du gouvernement central ukrainien contre ceux qui seraient favorables à la Russie.
Le problème ici n’est pas tellement la maîtrise de la technique juridique par le gouvernement russe, car il maîtrise les exemples passés, mais la qualification des faits, car il n’y a pas un début de commencement de preuve d’un risque de génocide, ce qui fait tomber toute la théorie de la légitime défense.
Par ailleurs, pour revenir sur les exemples invoqués par la Russie : il y a eu d’autres cas de recours, en quoi est-ce différent ? Ce type de raisonnement est assez typique, et consiste à dévier de l’illégalité de cette agression russe en portant l’attention sur d’autres violations, sur d’autres acteurs du passé. Il faut distinguer le cas de l’Irak, qui a été condamné par beaucoup de pays comme une violation du droit international, et qui n’a même pas fait l’objet d’une légalisation postérieure puisque le Conseil de Sécurité a fini par réglementer l’occupation en Irak mais sans justifier le recours à la force par la coalition, en violation du droit international. D’autre part l’Irak était sous surveillance depuis 90 et faisait l’objet de nombreuses résolutions notamment pour utilisation d’armes chimiques contre une partie de la population, donc rien de comparable avec l’Ukraine aujourd’hui.
L’autre exemple invoqué par la Russie : le Kosovo, en 1999. Là aussi l’OTAN a bombardé Belgrade, sans autorisation du Conseil de Sécurité. C’est considéré comme une violation également mais on considère cette intervention, en vue du contexte, à la fois comme illégale et légitime car faite pour protéger des populations qui faisaient l’objet d’une répression massive de la part du gouvernement - on parle d’ailleurs parfois d’intervention humanitaire. C’était multilatéral, là encore il n’y a rien à voir.
Il y a aussi l’argument de l’intervention de l’OTAN en Libye en 2011, sauf qu’il y avait alors une autorisation du Conseil de Sécurité. Là ou la Russie et la Chine divergeaient c’était sur l’ampleur de l’intervention : fallait-il aller jusqu’à changer de régime ou se contenter de protéger les civils ? Là non plus ce n’était pas le même contexte, il y avait un fondement et un cadre multilatéral.
Finalement la seule véritable comparaison est celle l’invasion par l’Irak du Koweït, en 90, qui elle-même a donné lieu à une réaction multi-latérale au sein du Conseil de Sécurité. Évidemment ce contexte n’est pas invoqué par la Russie. Les conséquences ne sont pas les mêmes qu’ici car il était facile pour le Conseil de Sécurité de se mettre d’accord et d’arrêter Saddam Hussein.
En conclusion, sur l’interdiction du recours à la force : en 1970 un juriste internationaliste américain, Thomas Frank ??, a écrit un article : « qui a tué l’ART 2 paragraphe 4 ? » S’il était déjà mort, il ne peut pas être plus moribond aujourd’hui. Ce qui montre que l’interdiction est toujours valable est la condamnation de presque tous les États de l’intervention Russe. Ces condamnations suffisent à refléter le caractère encore un vigueur de cette interdiction, ce qui n’était pas le cas en 2014, pour la Crimée, et encore moins pour la Géorgie. Les condamnations étaient alors moins unanimes.
Pour avoir un peu d’espoir : la Russie n’a à aucun moment remis en cause cette règle fondamentale du droit international, au contraire : tout en défendant la légalité purement chimérique de son action elle va invoquer des circonstance atténuantes sur d’autres situations pour essayer de se légitimer. On peut dire que l’ART 1 paragraphe 4 est toujours aussi fragile.
La conclusion que l’on peur tirer pour le système de sécurité collective, avec le Conseil de Sécurité comme gendarme mondial, c’est qu’on peut dire que la puissance relative, plus ou moins assumée, des États ne fait que pointer des limites que l’on connaissait déjà, puisqu’elles étaient non seulement prévisibles mais institutionnalisées. C’est-à-dire que le but de la Chartes Nations Unies n’est pas d’éviter toute guerre, tout recours à la force, mais toute guerre mondiale. Le système est fait de manière à ce que les 5 membres permanents du Conseil de Sécurité ne puissent pas s’affronter, ce qui pourrait conduire à une situation plus grave. Le veto accordé à chacun des membres, vise à un équilibre des puissances.
On pourrait dire que le Conseil de Sécurité ne peut rien faire, mais concernant l’OTAN : un raccourci est fait de dire que l’Ukraine n’est pas membre de l’OTAN et donc que ses membres ne peuvent intervenir ; ils le pourraient en toute légalité au nom de la légitime défense collective, ce que demande d’ailleurs l’Ukraine. Mais on voit ici que ce qui serait légal n’est pas toujours souhaitable, ainsi que, s’il fallait encore le dire, les limites dans du droit international dans les relations internationales.
Les sanctions économiques
Sur les sanctions économiques qui touchent la Russie et qui ont été votées par de nombreux états des pays occidentaux, on distingue :
- des sanctions d’ordre financier. On trouve le gel des avoirs, notamment détenus par la Banque centrale russe, ou par certaines banques commerciales russes, et la saisie potentielle des avoirs à l’étranger, détenus par des oligarques ou personnalités russes.
- d’ordre commercial, sur lesquelles on va insister. On trouve un large éventail de mesures qui vont de l’interdiction d’importer des produits en provenance de Russie. Certains États l’ont prononcé, d’autres en discutent, comme les États-Unis qui ont décrété l’interdiction l’importation de pétrole en provenance de Russie. Au niveau Europe on en discute un peu plus, car plus dépendants. D’autres pays, comme l’Australie, vont interdire l’importation de certains produits comme la vodka ou les diamants. On a également des pays qui vont prononcer des interdictions d’exporter des produits vers la Russie, ce qui peut concerner aussi bien des matières premières comme le fer et l’acier (Europe et Australie) ou encore les produits de luxe, comme le champagne ou les spiritueux.
Mais une autre sanction a été envisagée dernièrement : le retrait du statut de la nation la plus favorisée à la Russie, qui va être prononcé par plusieurs États notamment dans le cadre de l’OMC. C’est peur-être la sanction la plus obscure mais qui aurait parmi les effets les plus importants à l’égard de la Russie.
Elle est donc appliquée au sein de l’OMC dans laquelle la Russie est membre depuis 2011, et qui à ce titre bénéficie d’un certain nombre d’avantages, de droits, dont notamment de la clause de la nation la plus favorisée Cela signifie que tout avantage qui est donné par un membre à un autre membre, notamment en matière de droit de douane, doit être accordé à tous les autres membres de l’OMC qui se situent, en quelque sorte, dans une situation d’égalité. C’est une règle fondamentale que de garantir la non-discrimination entre les États.
Les sanctions les plus évidentes vont concerner les droits de douane. Il faut savoir qu’actuellement tout État membre de l’OMC va devoir payer un certain nombre de droits de douanes, qui est aujourd’hui assez bas (moins de 3 % en moyenne sur les marchandises, hors produits agricoles). Le fait de perdre ce statut signifie désormais que les produits russes vont être confrontés à des droits de douane beaucoup plus élevés. Si l’on regarde la situation du Canada, qui a été le premier pays à retirer la Russie du statut de pays le plus favorisé, les droits de douane sont passés à 35 %.
Mais les conséquences ne s’arrêtent pas là : cela va également permettent aux membres de l’OMC de prendre d’autres sanctions. Encore une fois le fait d’être membre garanti un certain nombre de droits, et le fait de perdre ce statut peut amener à retirer d’autres privilèges, comme la liberté d’accès des entreprises russes au marché de service des autres membres. Dans un autre domaine, en matière de propriété intellectuelle : les États pourraient ne plus les protéger. Également, ce qui a été un peu plus évoqué dans la presse et des médias, la fourniture de certaines banques russes pourrait être aussi arrêtée.
Finalement, avec la perte du statut, c’est la fin des avantages de son appartenance à l’OMC. Aujourd’hui la Russie se retrouve, de la même façon que la Corée du Nord, susceptible de connaître des discriminations défavorables de la part des membres de l’OMC. Il est vrai que les États-Unis l’ont retiré à Cuba ou au Vietnam, mais ici c’est une nouveauté de voir autant de membres retirer ce statut à la Russie.
La question peut se poser de savoir si ces sanctions commerciales sont finalement possibles ou si, en d’autres termes, elles sont légales au regard des droits de l’OMC. Revenons sur certains principes.
L’un des principaux moyens de l’OMC est de favoriser le libre-échange, sachant que l’OMC a été mis en place pour garantir la sécurité et la prévisibilité notamment dans les échanges commerciaux. Cela signifie qu’à l’OMC certains comportements sont interdits, notamment lorsqu’un État devient membre il ne pourra plus mettre des restrictions, des quotas à l’égard des produits étrangers ; de même il ne peut plus jouer librement avec ses droits de douane, qui sont gelés. La seule logique qui peut s’appliquer est celle de la baisse, et certainement pas celle de la hausse. On voit que les mesures qui sont prises peuvent sembler, du coup, en contradiction avec leurs obligations. On peut se demander si la Russie ne pourraient pas déposer plainte, puisque effectivement l’une des forces de l’OMC – bien que moins aujourd’hui – est son mécanisme de règlement des différents. Par la plainte, un État peut obtenir qu’un autre État de respecter les droits. Sur ce point la réponse est non, parce qu’il existe dans l’OMC une disposition particulière, que l’on retrouve à l’ART 21 qui date de 1994. Cet article est une exception : il donne la possibilité aux membres d’échapper à leurs obligations si cela s’avère nécessaire à la protection de intérêts essentiels de la sécurité, en cas de guerre ou de situation de crise dans les relations internationales.
Pendant longtemps cet article était invoqué sans véritablement avoir été utilisé par les membres. Or, dans le cadre de l’OMC, en 2019 pour la première fois, le juge de l’OMC s’est prononcé et a donné une interprétation de cet article, que personne n’avait souhaité utiliser. Le paradoxe : l’affaire opposait déjà alors l’Ukraine et la Russie. Dans cette affaire il avait été invoqué par la Russie, pour justifier certaines atteintes, dont notamment la liberté de transit, le fait qu’un État ne peut pas empêcher un autre État de faire transiter ses marchandises. L’Ukraine avait déposé plainte contre la Russie en invoquant le fait qu’elle avait mis en place des restrictions aux frontières. Dans ce différent, pour justifier son non respect de ce droit de transit, la Russie a invoqué cet article 21 en disant qu’elle avait agit précisément parce qu’étaient en cause les intérêts essentiels de sa sécurité, et effectivement la situation en Crimée depuis 2014 impliquait une crise internationale évidente.
Sur cette exception, si on regarde le rapport rendu par le juge de l’OMC, on s’aperçoit qu’il n’y a quasiment aucune possibilité de considérer que son invocation n’est pas justifiée car seul l’État peut déterminer sa sécurité. Donc le droit de l’OMC justifie juridiquement les mesures qui sont prises actuellement.
Pour conclure, même si ce n’est pas obligatoire, le droit de l’OMC permet de prendre légalement des sanctions contre la Russie pour mettre fin à la situation en Ukraine. Mais quand à savoir si elles sont efficaces, et qui en paiera le prix, on ne peut certainement pas trancher maintenant.
Éléments sur les rapports entre l’OTAN et la Russie
Quelques observations pour mieux comprendre : la question a commencé en 2014. Quelques faits simples : les élections présidentielles ont été gagnées par un homme politique de l’est de la Russie, qui a fait l’objet d’un coup d’État, deuxième fois que cela arrive dans les mêmes circonstances. Le président de l’époque avait le choix entre un accord d’association avec l’Union Européenne, destiné à faire rentrer l’Ukraine mais incompatible avec son accord de libre-échange avec la Russie. La Russie a obtenu un accord préférentiel sur le gaz, et l’Ukraine a mis fin à l’accord d’association.
L’ART 2 de la Chartes est le centre de grands affrontements idéologiques : il a été imaginé par Roosevelt, Churchill et Staline, 3 va-t-en-guerre. Ils auraient interdit l’usage de la force. L’autre lecture était que c’était en vue d’un équilibre, ce qui explique la situation et la rédaction. Au lieu de dire « nous interdisons le recours à la force », il est énoncé « nous interdisons le recours à la force si ». Il faut trouver les cadres d’interdiction, et voir la situation telle quelle.
Dans cette situation le résultat a été un sentiment hostile aux russophones et des revendications d’indépendance en Crimée et dans le Donbass. La dernière fois il avait eu des référendums, avec une différence historique, fondamentale : la Russie a eu deux stratégies différentes, elle a reconnu la Crimée et a accepté son rattachement, ce qu’elle n’a pas fait avec le Donbass. C’est une des choses les plus difficiles à comprendre : pourquoi ?
Comme le Donbass n’a pas été reconnu, l’Ukraine a commencé une opération antiterroriste pour reprendre le Donbass. La Russie a poussé ses troupes jusqu’à Marioupol et a négocié pour faire cesser le feu. Les accords de Minsk servent une ligne que les ukrainiens ne doivent pas franchir, mais cet accord n’a pas été respecté et, dans cette situation, deux récits diffèrent : un de l’alliance atlantique, l’autre russe.
Pour pouvoir comprendre la situation il faut comprendre deux choses : quel est l’essentiel des revendications russes ? La sécurité et la partie russophone de l’Ukraine. Sur cette partie, la question est n’est pas très complexe en réalité. Sur la question de la sécurité c’est tout autre chose.
Mais avant d’aller plus loin : est-ce qu’il est légitime que la Russie revendique la neutralité de l’Ukraine ? Pour ce faire : au Conseil de Sécurité il y a 4 états asiatiques, plus ou moins proches de la Russie. La question de la Russie c’est que l’alliance atlantique peut être perçue comme une menace, car c’est une alliance défensive mais, après la chute du mur de Berlin et de l’Union soviétique, l’alliance s’est dotée d’une résolution officielle qui l’a fait intervenir dans des situations où l’application de l’ART 2 n’était pas sérieux, comme par exemple en Irak, en Syrie, en Afghanistan, en Libye.
Si la Russie a pu ressentir cela comme une menace, alors cela change la radicalité de la situation, sans prétendre défendre ou justifier sa position mais tenter de comprendre la crise politique actuelle jusqu’au bout. Nous ne pouvons élaborer une position distincte de celle de l’alliance atlantique car en 2017 l’Union Européenne a été modifiée, et prévoit désormais que même en cas d’agression contre l’un des membres « les engagements de la défense demeurent conformes aux engagement souscrits […] qui restent pour les États membres le fondement de leur défense collective et l’instance de sa mise à l’œuvre. » C’est la base juridique autour de laquelle il faut trouver l’accord.
L’intérêt stratégique de l’alliance atlantique est évidemment de continuer l’affrontement, armer l’Ukraine et revenir sur les accords de Minsk, couper la Russie du reste de l’Europe. Poutine, de 2014 à aujourd’hui, a refusé de reconnaître le Donbass, seule chose qu’il reconnaît comme une erreur. On sait quelle est la situation : plus on pousse à ne pas respecter l’accord de Minsk, plus on pousse les russes à réagir. Il n’y a donc pas de conciliation possible si on reste là, car les uns ont intérêt à ce que le conflit se poursuive, et les autres ont intérêt à ne pas perdre. Il y a deux possibilités : une de continuer, avec plus d’actions, plus d’armes, de troupes, la stratégie de la victoire pour faire encore plus de russes morts ; l’autre c’est la stratégie de la conciliation : pour faire un compromis il faut commencer par accepter une partie des positions de l’autre. C’est ce qui a été tenté ici ; on peut négocier, on peut concilier.