Economie - 2
Suite introduction à l’économie sous l’angle de la guerre et de l’histoire.
La concurrence déloyale au Moyen-Age
Question argent et commerce l’église fixe la norme. C’est en effet l’église qui dicte les bons comportements et condamne les mauvais. Se constitue ainsi au fil des siècles du Moyen-Age ce qu’on appelle un corps de doctrine commun en matière économique. Dans cette doctrine l’église propose une véritable éthique économique autour de la propriété, de la richesse, du commerce mais aussi des marchands, des prix et même de la monnaie. Dans la catégorie des péchés économiques on retrouve le prêt à intérêt qui est uniquement réservé aux juifs. En effet, l’usure est considérée comme un acte malin (venant du diable) dans les échanges économiques, comme cela n’interdit pas confisquer les biens des juifs lorsque leurs caisses sont vides. Il faut retenir qu’au MA les affaires n’ont pas bonne presse, tout comme la figure du marchand puisqu’il incarne l’avarice. C’est un homme forcément paré de tous les vices.
Néanmoins, si l’église a un discours assez hostile vis-à-vis du commerce, elle est consciente qu’elle est un mal nécessaire et c’est pourquoi elle va l’encadrer de sorte à ce que les abus du commerce ne nuisent pas à la collectivité. Mais ce n’est pas la seule à nourrir cette vision négative du commerce ; il y a aussi les nobles, qui estiment les métiers d’argent indignes à leur rang. Mais les princes et les rois ne peuvent pas se passer de ces riches roturiers et c’est pourquoi, quand ils ont besoin d’argent, ils les anoblissent en échange d’un don ou d’un prêt. Ainsi, au MA, dans le monde médiéval, économie et politique font déjà bon ménage. Et heureusement, pour le développement du capitalisme, la réforme protestante va lever le tabou. En effet pour eux non seulement l’argent n’est pas sale mais son accumulation est un don de dieu qui récompense toujours celui qui s’acharne au travail.
Aristote, sur lesquels s’appuient les scolastiques médiévaux, pense que l’argent ne doit pas faire de petits. Pour le philosophe grec c’est une question de modération et d’éthique, à contrario des commerçants qui cherchent à faire de l’argent avec de l’argent, d’où sa condamnation, dès l’antiquité, du prêt avec intérêt. Il faut attendre la réforme protestante pour remettre en cause l’interdit de l’église sur ce type de prêt.
Calvin, dans sa lettre sur l’usure publiée en 1545, redonne de l’air aux échanges économiques. En effet, en s’appuyant sur l’équité et la charité il va réconcilier commerce et engagement chrétien. Sa dynamique est celle d’une réconciliation. Dans sa pensée l’usure n’est pas condamnable dès lors que le gain qu’on en tire n’est pas défavorable au débiteur. C’est l’intention de détruire l’autre qui rend détestable le prêt à usure. Ainsi l’esprit protestant considère l’usure comme une arme de guerre économique. Tous les profits fondés sur l’accumulation des richesses ou la convoitise sont à proscrire. C’est aussi donc le commerce que Calvin honore. En ce sens, contrairement à l’église catholique qui se méfie de l’argent, il en fait un don de dieu et même une obligation pour l’homme puisque le commerce, par son essence, permet de tisser des liens entre les hommes et de détourner les hommes de faire du gain pour sa propre personne. Pour Calvin, c’est l’égoïsme de celui qui stocke, gaspille, s’approprie la richesse au détriment des autres qui empêche l’accomplissement du dessein divin, c’est-à-dire de la volonté de dieu d’offrir à chacun une bonne vie.
Calvin n’est pas non plus naïf sur le commerçant. En effet il est conscient que le commerçant peut tricher, alors il prévient le commerçant, le tricheur, que dieu le surveille et le unit : « Dieu ne condamne point les tromperies en un seul endroit mais en tout affaire ou négoce où le prochain sera lésé ». Le commerce entraîne donc un dynamique pour la communauté à condition qu’elle ne vise pas à détruire le concurrent.
On le comprend : au MA l’argent n’est pas une valeur cardinale et le commerce n’est pas une valeur cardinale non plus, ni même une activité franchement valorisée. Le marchand est soupçonné d’égoïsme, on lui reproche de ne travailler que pour lui et non pour la collectivité. La communauté lui rend bien et ne l’aide pas : maladie, brigandage, guerre… loin de chez lui le marchand est une proie facile et il ne peut pas, par définition, compter sur la protection des siens à partir du moment où il a quitté son fief. Donc le marchand, au MA, prend des risques à la fois pour ses affaires mais pire encore, pour son intégrité physique. Ainsi notre commerçant est tributaire de ses interlocuteurs, des producteurs, de ses clients aussi, comme finalement de ses concurrents. Notre marchand dépend des souverains, des contrées qu’il traverse et à cette époque le droit international n’existe pas, il n’y a pas de protection. Il revient donc au prince sur leur territoire de protéger les marchands étrangers et ça, le roi de Mercy va demander au 8è siècle à Charlemagne d’assurer la protection des marchands anglais (merciens du coup) qui traversent son empire.
Dans la même dynamique les comtés de Champagne et ?? vont garantir la sécurité des marchandises sur leur territoire. Ces exemples restent néanmoins limités. Les marchands, à échelle du continent européen, s’organisent pour assurer leur propre sécurité. Les italiens et les hanséates ?? conditionnent leur venue à ces foires et rendent eux-même la justice lorsque l’un des leur rencontre une difficulté, concurrençant la justice féodale. A Florence, par exemple, début 14è siècle, les marchands s’entendent pour créer un tribunal, mer mercanzzia, afin de juger les conflits commerciaux, essentiellement dans les domaines de la banque et de l’industrie textile. Il existe de rares accords commerciaux dans cette période mais ceux qui sont les plus notables sont ceux qui concernent la navigation, et notamment ces accords internationaux règlent la question de la propriété des épaves en mer. Le commerce reste une activité dangereuse et mieux vaut avoir la protection des plus forts pour assurer ses arrières.
Et justement, dans les centres urbains le soutien des têtes couronnées est indispensable. Avoir le soutien du roi c’est garantir des privilèges octroyés par le souverain lui-même à des catégories de commerçants ou d’artisans. En effet les rois ont tout intérêt pour développer l’économie de leur royaume, à développer économiquement leur cité et par extension leur Etat. Les souverains européens vont ainsi tous s’engager dans la compétition économique qui est déjà mondiale, et vont soutenir des champions commerciaux. Ils vont les soutenir matériellement, en leur fournissant des navires, diplomatiquement, en ouvrant des marchés grâce à des traités de commerce, et militaire, car la guerre permet d’éliminer, en dernier ressort, la concurrence, et ainsi prendre sa place. Par exemple Venise va détourner la 4ème croisade pour l’envoyer à Constantinople.
Politique, économie et militaire sont si imbriqués que c’est par la politique et l’armée que les marchands vont asseoir leur nouveau pouvoir. Là ou c’est clairement identifiable c’est dans les cités-E (E=état) italiennes, où le doge de Venise est également un commerçant. Les marchands font des affaires et gouvernent la cité. Ainsi, les marchands qui prennent le contrôle de Venise (on peut même dire que la République a été construite par des marchands) protègent leurs intérêts financiers à la fois de la République mais aussi de toute concurrence, tant à la fois intérieure qu’extérieure.
C’est ainsi souvent un marchand, à Florence, qui dirige, comme les Médicis qui sont une famille de banquiers. A Gênes, de même, ce sont des commerçants et vont jusqu’à s’entre-tuer pour conquérir les institutions. Et certains hommes d’affaires sont tellement puissants qu’ils arrivent au trône de France (comme Catherine). Jean brandbroque ??, marchand drapier, va se comporter comme un tyran sans pitié pour ses domestiques, ses fournisseurs et même ses créanciers. Il n’hésite pas à tricher sur la qualité ou la quantité, utilise la force avec les paysans, etc. tout en étant l’équivalent de maire. Il utilise les institutions communales pour faire voter des lois qui vont dans son intérêts, sans s’en cacher. Lorsque le vase est trop plein et que les habitants tentent de se révolter, il les écrase. Comme l’économie lui a permis de faire fortune et que le pouvoir en dépend il obtient des charges publiques, qui en retour lui permettent de consolider un peu plus son pouvoir et donc d’opérer une concurrence plus déloyale.
I. Des marchands entrepreneurs de guerres et affairistes
En France les grands commerçants fréquentent les cours royales. Ils occupent une place que les nobles qu’ils ne prennent pas. Ainsi les marchands et commerçants vont prêter de l’argent au roi qui va en profiter pour lever des armées et faire la guerre. En Italie les hommes d’affaire vont eux assurer la logistique pour les croisades, ils sont payés pour ce service mais trop peu à leur goût. Alors les affairistes italiens obtiennent des droits sur les terre conquises, en Syrie et en Palestine. Les commerçants italiens vont ensuite transformer ces colonies dans le proche Orient en colonie commerciales qui vont servir la grandeur de leur république. Et évident l’appétit ne s’arrête pas à l’Orient : elle profite des conflits politiques et territoriaux sur le continent européens pour augmenter leur chiffre d’affaire. C’est le cas lorsque le saint siège sollicite les républiques italiennes pour aider le compte Charles d’Anjou à conquérir le royaume de Naples. En récompense, le pape Clément IV va se montrer généreux et va leur confier les taxes tirées des foires de champagne et va leur offrir tous les marchés bancaires de l’Italie du sud.
Dans toute l’Europe les marchands règlent leur salaire et les équipements des soldats et se remboursent de ces charges sur les charges publiques que les souverains leur confient pour collecter taxe et impôts. ??? efforts de guerre dans la guerre de 100 ans qui va ravager la France mais aussi l’Espagne et une partie du Saint Empire. [???] C’est le cas de Jafok fugère ?? qui est l’homme le plus riche de son époque. Il dispose d’un service de communication très efficace qu’il met au service de l’empereur, qu’il va louer et vendre. Il se met au service l’empereur Maximilien pour assurer le lien avec le pape. Mais surtout son coup de maître fut d’acheter les voix nécessaires à l’élection de l’empereur Charles Quint, face à qui il avait François Ier. Charles Quint a donc été élu grâce à la corruption d’un banquier en 1519.
Dans les cités E italiennes certains marchands vont jusqu’à se transformer en chef de guerre. A Venise, les amiraux de la marine militaire sont des marchands, des personnes qui connaissent déjà la Méditerranée, qui en profitent pour ouvrir de nouvelles voix commerciales puisqu’ils ouvrent de nouveaux marchés. Gênes loue très souvent ses navires au roi de France, comme eux-même vont souvent recruter ces arbalétriers chez les génois. Quand les marchands ne se font pas la guerre entre eux ils se tiennent près des puissants pour garantir leurs intérêts.
Que doivent les grands commerçant italiens au pape ? Une partie de leur fortune et leur position sociale. En effet la proximité des marchands et de l’église leur offre des opportunités à la fois pour s’enrichir mais pour surveiller la concurrence.
Au 14è siècle les papes avignonnais vont alourdir la fiscalité sur les diocèses de l’E européenne pour récupérer de l’argent. Ils vont faire appel à des banquiers, surtout italiens, qui vont se charger de collecter des fonds. Parallèlement il prêtent aussi de l’argent au pape. Donc les marchands se trouvent à la fois être leur trésorier et leur financier. Cette situation privilégiée va leur permettre d’être exemptée de certaines charges. Parmi les banquiers les plus affairistes il y a les florentins Biche et Mouche. C’est à leur proximité, voire même dans leur intimité, que le roi de France Philippe le Bel doit sa réussite. En effet, ce sont des conseillers du roi qui vont lui permettre de prendre la main sur les fameux templiers et profiter d’être dans l’entourage du roi pour s’enrichir. Car en étant proche du roi, on a la primauté de l’information sur les données les plus sensibles sur quand faire le meilleur investissement. Ces florentins sont également propriétaires de la charge de monnayeurs royaux. Ainsi, en pouvant battre monnaie, ils peuvent spéculer sur la monnaie royale. Ils peuvent également spéculer sur les fermiers, les impôts, sur les taxes de foires ; bref, Biche et Mouche réussissent à détourner une bonne partie du trésor royal à leur profit.
Et pour s’assurer de leur place ils vont placer des hommes de confiance partout : des neveux, des clients sont placés dans les cercles du pouvoir, également au niveau local. Comme ils n’ont pas oublié qu’ils sont italiens ils vont donner des privilèges avantageux aux marchands italiens face aux français et favoriser les lombards, les italiens du nord. Au besoin ils n’hésitent pas à éradiquer leur concurrence, c’est-à-dire l’ordre des Templiers, dont ils organisent le pillage et de démantèlement. Ce n’est pas rien : l’ordre des Templiers est l’acteur le plus important des finances européennes. En organisant des croisades ils vont couvrir de leur réseau de commanderie toute l’Europe et servir de point de transfert pour l’argent d’Europe et du Proche Orient. Biche et Mouche vont mourir riches, et c’est finalement le cas de tous les banquiers proches du pouvoir. Ils sont tous envieux et vont finir par se brûler les ailes à force de prêter des sommes importantes et mis en difficultés, car tous les débiteurs ne remboursent pas.
Que dire enfin du clan des Médicis ? N’incarne-t-il pas à l’excès l’extension du monde de la finance, de la politique aux affaire ? Les Médicis contrôlent une trentaine de famille, l’armée, ce sont des banquiers mais aussi des souverains (Catherine et Marie de Médicis) et vont jusqu’à contrôle le pape. C’est une filière commerciale dans toute l’Europe. Ils sont à chaque fois proches du pouvoir. Les Médicis incarnent cette complexité entre pouvoir et argent, alors qu’à l’origine ils étaient producteurs et marchands de laine qui se sont développés grâce au prêt à usure.
Quand Machiavel écrit le prince, il pense à eux : le Prince qui est à la fois raisonné est cynique c’est le portrait craché d’un Médicis. En effet le Prince de Machiavel, rationnel et cynique, sait aussi bien entretenir un réseau chez les nobles, dans l’église, dans la bourgeoisie marchand, bref partout où il y a des clients. Une fois au pouvoir, ce Prince ne doit reculer devant rien pour y rester, il doit abattre la concurrence, faire taire les voix dissidentes. Quelle est leur arme ? Ce n’est pas littéralement les armes mais la pression fiscale : ils écrasent leurs concurrents par les taxes. Avec le Catasto ??, un impôt calculé à partir du recensement des biens et des fortunes, les Médicis vont couvrir de dettes tout ce qui leur résiste. Il tire profit de la richesse de leurs ennemis et quand il n’ont plus rien, les envoient en exil. S’ils sont trop récalcitrants ils les enferme ou leur fixe des amendes exorbitantes.
Donc faire du commerce au MA c’est faire de la politique mais aussi de la guerre : on est très loin de Montesquieu. Au MA le marchand se base sur tous les fronts : le front intérieur, composé des autres marchands de la cité, et le fond extérieur, formé par les concurrents à la cité. Exemple typique : Gêne, on on n’hésite pas à tuer la concurrence. C’est terrible car, avec ces guerres intestines, Florence et Gênes font freiner leur commerce et freiner du même coup le développement de leur cité. Venise ne fera pas cette erreur.
Au MA il y a donc de grandes fortunes qui se font mais qui se détruisent très vite aussi. En Italie c’est le conflit entre le pape et l’empereur qui va mettre le feu aux poudres. On veut conquérir le pouvoir pour bénéficier d’une concurrence déloyale.
II. Des privilèges pour éloigner la concurrence
Pour battre ses concurrents le marchand possède une arme particulièrement efficace : c’est le privilège. Rappelons-le, ce n’est pas un avantage mais une loi privée (du lat. Privata lex, la loi privée). Le privilège n’est donc pas un avantage mais un droit spécifique qui vient de la coutume ou qui est accordé par le souverain. Donc le privilège ne s’applique qu’à ceux dont ils visent et au MA, on l’a compris, le monde des affaires se confond avec celui des privilèges. Ainsi le commerçant n’est pas concerné par le droit canon, c’est-à-dire le droit interne à l’église, ou par un quelconque autre droit. Les privilèges des commerçants servent dans les grands centres urbains à souvent protéger le marché. Ainsi celui qui sous le privilège est protégé du pouvoir, souvent des échevins ou des prévôts des marchands (à peu près la même fonction, c’est-à-dire maire). La ligue commerciale de la Hanse (nord de l’Allemagne) profite de son privilège de circulation fluviale sur la Seine et en profite pour se créer un monopole de circulation, et donc pour exclure tous ceux qui ne font pas partie de sa ligue. Pour faire naviguer les marchandises le bourgeois étranger doit donc s’associer à un membre de la Hanse, peu importe qu’il soit français et dans son propre pays.
C’est la même chose à South Ampton en Grande-Bretagne (GB) où les bourgeois de la ville sont exemptés de taxes de douane tandis que les étrangers doivent s’y soumettre et doivent augmenter leur coût et donc diminuer leur compétitivité par rapport aux marchands anglais.
Les vignerons bordelais obtiennent en 1280 un privilège du roi d’Angleterre : d’être les premiers chaque année à exporter leur vin en GB. Et c’est non négligeable, car la viticulteurs des autres régions ne sont pas autorisés à débarquer leur cargaison. On ne vend, en Angleterre, en cette période de monopole, que du vin bordelais. Souvent, en les dédouanant du droit de douane. Les citizens, les citoyens de la ville de Londres, peuvent posséder des compagnies et ainsi faire des affaires. Les marchands doivent se regrouper par nationalité pour être autorisés à travailler.
A l’inverse des citizens il y a les denizens qui, eux, sont biens anglais, habitent Londres, mais, qu’ils soient riches ou pauvres, n’ont aucun privilège. Dans ce monde médiéval le prince et l’homme de dieu et assure les bonnes marches des affaires ainsi que l’ordre public. En effet, dans l’esprit des médiévaux, marcher sur les plates-bandes des autres c’est se mettre hors la loi. Et comme le prince et l’homme de dieu appliquent les coutumes pour ne pas détruire l’ordre de dieu, et bien sauf pour certains cas les roi doivent conserver les coutumes et donc les privilèges commerciaux.
Toute cette sphère de privilèges où l’on résonne en terme de communauté influence l’apparition du nationalisme, voire même du patriotisme économique. L’identité précède la nation, cf chanson de Roland (plus ancienne chanson française du MA) a été écrite par des francs en Angleterre suite au mal du pays.
En 1449 les marchands anglais vont demander au roi Henri VI de couler les navires normands et bretons pour s’assurer de la maîtrise des mers du nord : on se débarrasse de la concurrence. Moins radicaux les Vénitiens vont capter les marchés méditerranéens à leur seul profit, souvent en écartant les villes comme Gênes de sont empire commercial. En orient, les vénitiens rachètent toute la cargaison d’une caravane pour ensuite la partager avec ses compatriotes, excluant ainsi de son marché les autres qui ne pourront pas s’enrichir par la vente de la soie. De même, la règle peret aux seuls vénitiens de décharger leur navire dans le grand canal. Toujours, les vénitiens tolèrent de la part d’un étranger que sa cargaison complète soit déchargée dans le port de Venise ; il y a vraiment un monopole de la ville. Ainsi, et les vénitiens sont très malins, ils ont rendus impossible de commercer dans la mer Adriatique sans passer par Venise. Et pour bien le figurer, Venise adopte la loi du transit où elle oblige tous les commerçants étrangers de la mer Adriatique à passer par Venise pour vendre leur marchandise sur place et surtout à n’acheter que des produits vénitiens.
Ainsi les vénitiens vont mettre en place d’énormes entrepôts dans la ville, d’autant plus que chaque commerçant possède ses propres caves pour entreposer ses marchandises. En bref, Vénise le montre : on se méfie des étrangers, vus comme des concurrents, et moins on en dit sur les réseaux de pouvoir, plus on garde le secret sur ses affaires, plus on s’impose sur les marchés. Le paradoxe c’est quand ce culte du secret vient à pénaliser : c’est le problème de Gêne, où les marchands sont si concurrents entre eux qu’ils ne se partagent aucun information. En effet, à Gêne, la seule personne au courant des marchandises qui transitent est le capitaine. C’est terrible car même le droit lui-même se fait l’objet de ce secret, et les actes notariés utilisent des formules très évasives.
Bref, on ne veut pas être précis, on veut brouiller les pistes autant que possible. Et comment on fait pour protéger des sociétés, pour faire en sorte que matériellement on va transporter tel produit à tel endroit ? La société-mère créée des succursales pour s’occuper de la gestion jusqu’à s’enliser dans ce système.
III. Des banquiers espions dans l’Italie médiévale
Les banquiers et les marchands de l’époque médiévale italienne ont de grandes oreilles. Ce sont des espions. On l’a compris : nos marchands italiens recouvrent un ?? afin de se positionner dans les rivalités entre les puissances portuaires. Ce sont les cités-E italiennes qui modernisent les techniques de recherche et d’information issues de l’antiquité romaine. A l’époque circulent les traités sur la guerre du « Frontin et du Vegece » dans laquelle les auteurs enseignent comment remporter un affrontement grâce à l’information. Aux textes classiques s’ajoutent des traités de diplomatie qui vont prendre en compte la guerre de l’information. Une dizaine de documents en 1336 et 1348 vont marquer le fondement de la diplomatie européenne moderne. Face à cet ouvrage, les cités-E italiennes vont s’en méfier jusqu’à interdire à leurs citoyens de le lire pour les pousser à savoir comment récupérer des informations. N’y a-t-il pas là une confusion entre diplomatie et renseignement ?
Certains seigneurs, au 14è siècle, exigent que leur administration les tienne continuellement informés sur les passages des marchands et des voyageurs sur leur fief. Donc il y a un contrôle du pouvoir local et civil sur les marchands. En effet il est très facile, pour les marchands étrangers, d’interroger des gens locaux pour récupérer des informations au prix d’un beuverie. Donc les marchands sont suspectés d’espionnage ; ou au contraire, l’agent en question est considéré comme une bonne source d’information (pas très sûre de ce passage dsl).
Les textes juridiques, mais également les écrits de Brunetto Latini ?? dessine ainsi le portrait d’un espion professionnel : c’est quelqu’un de discret, curieux, cultivé, et surtout quelqu’un de polyglotte mais ses textes préviennent le lecteur. L’espion peut aussi endosser les habits d’un agent-double, et il est alors partout. Un marchand, un banquier, un homme d’église… Entre 1256 et 1259 le franciscain frère Régoire ?? installé à Beyrouz est chargé de surveiller les seigneurs de la cité pour les comptes des siennois (de Siennes) car il a peur que les siennois s’installent à Florence. Les siennois, particulièrement entreprenants, versent un salaire à un moine afin qu’ils puissent semer le désordre et la zizanie dans les rangs florentins. La priorité, à l’époque, est l’espionnage diplomatique et militaire, qui est un avantage pour les princes pour préserver les intérêts économiques de leur cité.
Dès le milieu du 13è siècle tout est consigné dans ce que l’on appelle des offices de lettres des envoyés et des espions. Ces offices publient la liste des espions, le relevé de leur salaire et de leur remboursement de frais. On trouve également dans les archives de l’époque des comptes-rendus de mission d’espionnage, codées par des espions formés aux premières missions de cryptographie – les allemands n’ont rien inventé avec enigma. Les italiens ont appris de leurs ancêtres, les romains : ils ont repris et perfectionné le système d’espionnage, il y a donc une base conceptuelle. De plus, les solides rivalités entre les cités-E poussent les espions à rechercher des informations aussi bien politiques que commerciales afin d’assurer la puissance économique de la cité pour laquelle ils oeuvrent. En bref, la bataille économique entre les cités-E italiennes va donner ses lettres de noblesse au renseignement économique ; on y met toute son intelligence pour protéger l’information, préserver ses avantages, confisquer les biens et l’argent de ses concurrents, écraser fiscalement ses ennemis, assurer un favoritisme, assurer un réseau d’influence, espionner économiquement l’autre… On est en plein ébullition intellectuelle. Contrairement à ce qu’on pense, on est loin d’une période primitive de l’économie soumise à l’église ; c’est même un temps de pré-capitalisme, voir de capitalisme populaire, où les échanges économiques sont vifs et brutaux, où l’église aussi se comporte comme des guerriers économiques, comme c’est le cas des Templiers. S’ils ont beau être pauvre, leur ordre est riche.