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Cours Introduction au droit Mr. Laingui Titres et sommaire 2/3

§ 2 LES FAITS JURIDIQUES (GÉNÉRALITÉS)

Il n’y a pas que les actes juridiques unilatéraux ou conventionnels qui sont sources de droits et d’obligations, il y a aussi les faits juridiques. Ils sont divers par nature, ce qui décourage toute tentative de classement exhaustif. Le fait juridique n’est ni l’exécution, ni la conséquence d’un acte juridique unilatéral ou conventionnel. C’est un fait de la nature, un fait intentionnel ou non intentionnel de l’homme auquel le Droit objectif attache des effets de droit. Les auteurs de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ont donné une définition – cadre du fait juridique à l’article 1100-2 nouveau du Code civil : « Les faits juridiques sont des agissements ou des événements auxquels la loi attache des effets de droit. / Les obligations qui naissent d’un fait juridique sont régies, selon le cas, par le sous-titre relatif à la responsabilité extracontractuelle ou le sous-titre relatif aux autres sources d’obligations ». Un fait n’est « juridique », ne génère des droits et des obligations que dans les conditions prévues par les règles du Droit objectif.

Le Code pénal est ainsi un catalogue de faits juridiques légalement préétablis… que les personnes physiques ou morales feraient bien de ne pas commettre. Le législateur définit les actes ou omissions constitutifs d’un délit ou d’un crime. La commission d’un fait délictueux entraînera la condamnation pénale de son auteur : la responsabilité pénale découle d’un fait qui, s’il a causé un dommage à autrui, engage aussi la responsabilité civile de son auteur envers la victime (obligation de réparation d’un côté et droit à réparation de l’autre). Un délit pénal peut être simultanément un délit civil : un chauffard, conduisant sous l’empire d’un état alcoolique, qui perd le contrôle de son véhicule et heurte celui d’un autre automobiliste qui est blessé sérieusement dans l’accident commet à la fois un délit pénal (délit de blessures involontaires ayant entraîné une incapacité temporaire de X mois, aggravé d’un état alcoolique) et un délit civil (la faute a causé des dommages à la victime). Renvoyé devant un Tribunal correctionnel à la demande du Ministère public qui a mis en mouvement l’action publique, l’auteur des faits peut être condamné deux ans de prison, à l’annulation de son permis, à l’interdiction d’exercer ses droits civiques, civils et de famille pendant X années ; la victime, si elle s’est constituée partie civile devant le Tribunal correctionnel peut obtenir réparation de tous les dommages civils qu’elle a subi personnellement (Fiche T.D. de Méthodologie disciplinaire n° 3 :Cour de cassation, Chambre criminelle, 29 janvier 1991, n° de pourvoi: 90-80442). Le juge pénal se prononce ainsi sur l’action publique (l’Etat qui représente la société demande des comptes à l’auteur du délit pénal) et sur l’action civile (la victime demande « au civil », réparation des dommages civils qu’elle a supportés). Le Tribunal correctionnel est le Tribunal judiciaire [ex T.G.I.] statuant en audience correctionnelle (mais le Tribunal judiciaire statue aussi en audience de police).

Le fait pénal est toujours un fait prédéfini par le législateur, principe de légalité des infractions et des peines oblige. En ce sens, le fait pénal n’est jamais un fait « quelconque » fautif, alors que l’article 1240 (ex 1382) du Code civil permet d’engager la responsabilité personnelle de l’auteur de tout fait quelconque fautif, dès lors qu’il est la cause directe d’un dommage (ce que la victime doit établir). L’article 1242 (ex 1384) du Code civil permet d’engager la responsabilité civile des parents pour tout dommage causé par le fait (fautif ou non fautif) de l’enfant sur lequel ils exercent en commun le droit d’autorité parentale ; l’article 1243 (ex 1385) permet d’engager la responsabilité des propriétaires et utilisateurs d’animaux qui commettraient des dommages (le fait des animaux emporte des conséquences juridiques pour leurs propriétaires). Quand la volonté des personnes intervient (ce n’est pas toujours le cas), elle est sans effet sur les conséquences de droit qui découle des faits : le vol (l’intention de voler) entraîne un châtiment prévu par le Code pénal et l’obligation de restituer le bien ou de réparer le dommage (ce que ne voulait pas l’auteur de l’infraction…) ; l’homicide est volontaire ou involontaire, mais il entraîne l’application d’une sanction pénale et l’obligation de réparer les dommages civils (la sanction pénale est plus lourde dans un cas que dans l’autre). Un accident de la route, un accident du travail, un accident de navigation aérienne ou nautique, la morsure d’un chien qui a échappé à la surveillance du propriétaire, sont autant de faits juridiques (Support Cours J. Laingui : Cour d’appel de Paris, pôle 6- chambre 12, 18 février 2016, n° 12/10872). Les règles de la responsabilité civile s’appliquent aux personnes « civiles », pas aux personnes publiques (Etat, communes, départements, régions, etc) quand le dommage résulte du fonctionnement défectueux d’un service public administratif : il faut distinguer entre responsabilité civile et responsabilité administrative (Support Cours J. Laingui : Tribunal des Conflits, 15 juin 2015, n° C4007 ; Fiche T.D. d’Introduction au Droit n° 1 Tribunal des conflits, 8 février 1873, Blanco, n° 00012 ; Fiche T.D. d’Introduction au Droit n° 2 : Conseil d’Etat, Section du contentieux, 14 février 1997, C.H.R. de Nice c/ Epoux Quarez, n° 133238, R.F.D.A. 1997, p. 374, conclusions Valérie Pécresse).

Tout fait auquel la loi attache des conséquences juridiques constitue un fait juridique :

le concubinage, l’état de grossesse d’une femme, la naissance d’un enfant. Il faut déclarer la grossesse passé dans un certain délai : l’accomplissement de cette formalité ouvre droit à la perception des allocations prénatales et la suspension du contrat de travail, est le point de départ du légal pendant lequel il est possible d’avorter. La naissance d’un enfant né vivant et viable est un fait juridique d’importance puisqu’elle marque le commencement de la personnalité juridique d’un individu. Le fait est relaté dans la déclaration de naissance enregistrée par l’officier d’état civil sous la forme d’un acte d’état civil comportant les mentions prescrites par le Code civil. Le nouveau sujet – titulaire de droits est ainsi « protégé » jusqu’à ses dix huit ans part le statut juridique du mineur. Si la naissance est un fait juridique, la mort en est un autre (qui doit lui aussi faire l’objet d’une déclaration enregistrée par les services de l’état civil). La mort marque la fin de la personnalité juridique et ouvre la succession du défunt dont le patrimoine (actif et passif) sera réparti entre les héritiers, le cas échéant, en respectant sa volonté exprimée dans un testament « pour cause de mort ».

Le droit positif prend en compte bien d’autres faits. L’inaction (ne rien faire) pendant un laps de temps fixé par la loi peut faire perdre un droit dont on est titulaire : c’est le mécanisme de la prescription extinctive (Article 2219 du Code civil, Livre troisième, Titre XX, issu de la loi n° 2008 – 561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile). La possession continue, paisible, publique et non équivoque d’un bien immeuble pendant trente ans fait présumer que le possesseur en est le propriétaire et permettait l’acquisition de la propriété de l’immeuble (Article 2229 ancien du Code civil). L’acquisition du droit de propriété est donc une conséquence deux faits : la possession du bien et l’écoulement du temps. Peu importe si le possesseur est de bonne ou mauvaise foi. S’agissant des biens meubles, les conséquences à tirer de la possession étaient simples et surtout plus rapides pour le possesseur de bonne foi : « En fait de meuble, possession vaut titre [de propriété] » disait l’ancien article 2279 du Code civil. La réforme de la prescription en matière civile intervenue en juin 2008 modifie la numération du Code civil et son contenu en cette matière.

L’article 2258 dans une rédaction nouvelle énonce que « La prescription acquisitive est un moyen d’acquérir un bien ou un droit par l’effet de la possession sans que celui qui l’allègue soit obligé d’en rapporter un titre ou qu’on puisse lui opposer l’exception déduite de la mauvaise foi ». Si le délai de prescription pour acquérir la propriété reste en principe de trente ans, ce délai de prescription est ramené à dix ans pour « celui qui acquiert de bonne foi et par juste titre un immeuble » (Article 2272 du Code civil). Le possesseur de bonne foi et qui dispose d’un titre qui aurait dû faire de lui un propriétaire… si l’autre partie avait été propriétaire, est récompensé. L’article 2279 ancien devenu l’article 2276 affirme toujours qu’« en fait de meubles possession vaut titre », il a été ajouté que « Néanmoins, celui qui a perdu ou auquel il a été volé une chose peut la revendiquer pendant trois ans à compter du jour de la perte ou du vol, contre celui dans les mains duquel il la trouve ; sauf à celui – ci son recours contre celui duquel il la tient ». La possession de bonne foi n’est donc créatrice de droit qu’après expiration d’un délai de trois ans à compter du vol ou de la perte de la chose.

CHAPITRE 3 LA RÈGLE DE DROIT OBJECTIF

Nous nous intéresserons pour commencer aux caractères généraux de la règle de droit (Section 1), puis nous la confronterons avec la règle morale ou religieuse (Section 2), avant de montrer qu’ayant une finalité sociale, la règle de droit est diverse par son objet : la spécialisation de la règle de droit permettra de vérifier la diversité de la matière juridique, en présentant le Code civil (Section 3).

SECTION 1 LES CARACTÈRES GÉNÉRAUX DE LA RÈGLE DE DROIT

La règle de droit a un caractère général et impersonnel (§ 1) ; elle est impérative et contraignante (§ 2).

§ 1 LE CARACTÈRE GÉNÉRAL ET IMPERSONNEL DE LA RÈGLE DE DROIT

Nous l’avons souligné en évoquant Rousseau, la règle de droit s’applique à chacun et ne désigne personne en particulier. Elle est donc générale, c'est – à - dire qu’elle est la même pour tous. C’est l’égalité devant la loi, l’égalité des droits, comprenons une égale capacité à exercer ces droits, à en être ou en devenir titulaire. La règle est générale quand elle s’adresse indistinctement à tous les membres du corps social : l’âge de la majorité civile est fixé à 18 ans. Ce caractère général n’est pas remis en cause quand la règle vise une catégorie limitée de personnes : propriétaires, locataires, salariés, employeurs, assurés sociaux, contribuables, etc… La règle s’applique certes à une catégorie limitée – elle peut même être limitée à une personne (statut constitutionnel du Président de la République, du Premier ministre) - mais elle s’applique à toute personne qui entrera dans la catégorie visée, qui exercera la fonction de Président de la République, de Premier ministre. Elle ne vise pas personnellement MM. Sarkozy, Hollande (hier) ou Macron (actuellement). La règle peut donc s’appliquer – sans perdre sa généralité – à des catégories définies par le sexe, l’âge, la profession, la nationalité… Dire qu’une règle est générale ne signifie pas qu’elle ne peut discriminer. Le Droit c’est aussi discrimination, différenciation des personnes, des biens, des situations...

La règle de droit est construite selon un certain style. Elle se décompose en deux parties : l’hypothèse et la conséquence (dit encore dispositif ou solution). L’hypothèse, c’est la condition d’application de la règle, la situation qui va permettre l’application de la solution (la réalisation de l’hypothèse prévue entraîne la conséquence). On retrouve cette construction de la règle de droit dans les plus anciens textes. Le Code d’Hammourabi (1793-1750) : « Si un homme à un homme avec une arme, les os de… a rompu une mine d’argent il devra payer ». Le Code de l’Alliance ou Exode est à la fois plus compliqué, plus pittoresque et plus précis, mais bâti sur ce modèle : « Si des hommes se prennent de querelle et que l’un d’eux frappe l’autre d’un coup de pierre ou de poing de telle sorte que ce dernier n’en meure point mais doive garder le lit, celui qui a porté les coups sera quitte si le blessé se relève et peut circuler dehors, fût ce appuyé sur son bâton. Il devra toutefois le dédommager pour sa résidence forcée et le soigner jusqu’à complète guérison ». Le style de notre Code civil reste finalement très proche, si l’on reporte à nouveau à l’article 1240 (ex 1382) qui fonde la responsabilité du fait personnel : « Tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ». L’hypothèse est clairement formulée : l’existence d’un dommage causé par un fait fautif quelconque de l’homme. La conséquence en découle : l’obligation faite à l’auteur du dommage de le réparer. La solution est l’élément essentiel de la règle. Une hypothèse sans solution présenterait peu d’intérêt ! Les membres du corps social savent ce qu’ils doivent faire ou ne pas faire dans une situation donnée. La règle détermine les comportements permis ou licites, interdits ou illicites. Mais la règle demande cependant une interprétation.

L’article 1240 (ex 1382) est admirablement rédigé – les réformateurs n’ont pas eu à y toucher - mais vous observerez qu’il suppose l’existence (à établir par la victime) d’une faute (non déterminée par la loi civile) imputable au fait d’un homme et qui est la cause directe d’un dommage existant, certain (et non futur) et réparable. La faute peut être intentionnelle et l’on parle alors de « délit civil », soit une négligence, une imprudence et l’on parle alors de « quasi – délit ». Des affaires, comme seule peut en produire notre époque, montrent les difficultés qui peuvent surgir lorsqu’il s’agit d’appliquer la règle de droit. Une femme subit une opération chirurgicale pour ne plus avoir d’enfant et donne naissance à un petit garçon. Peut-elle se retourner contre le médecin ? L’action en responsabilité civile n’était pas fondée sur l’article 1382 (Article 1240 actuel) puisqu’il s’agissait d’une action en responsabilité contractuelle qui n’entre pas dans le champ de cet article. Le juge reconnaîtra qu’une faute contractuelle est bien imputable au médecin qui n’a pas informé pas la patiente qu’il y avait un risque (très faible) d’échec et n’a pas procédé pas aux vérifications d’usage après une telle opération. Mais cette faute contractuelle est-elle la cause directe du dommage ? Ici, le juge refuse de considérer la naissance d’un enfant bien portant comme un préjudice réparable. Le dommage n’existe pas. Dans une affaire restée célèbre, on a vu la haute juridiction judiciaire accepter qu’un enfant atteint d’un handicap non détecté pendant la grossesse de la mère, à la suite d’une faute médicale, puisse demander réparation du préjudice subi par lui, à savoir sa propre naissance (le préjudice de naître handicapé) : les fautes commises par le médecin dans l’exécution des contrats avec la mère de Nicolas Perruche ne sont pas la cause du handicap, mais elles « avaient empêché celle – ci d’exercer son choix d’interrompre sa grossesse afin d’éviter la naissance d’un enfant atteint d’un handicap », ce qui autorise l’enfant à demander la réparation du préjudice résultant de ce handicap « et causé par les fautes retenues » sur le fondement de l’article 1382 (Article 1240 actuel) du Code civil puisque les fautes commises n’avaient pas un caractère contractuel vis-à-vis de Nicolas Perruche, alors qu’elles avaient ce caractère vis – à - vis de sa mère (Fiche T.D. d’Introduction au Droit n° 2 : Cour de cassation, Assemblée plénière, 17 novembre 2000, Perruche, J.C.P. 2000, II, 10 438, conclusions J. Sainte Rose, rapporteur P. Sargos).

L’arrêt casse et annule l’arrêt de Cour d’appel qui avait jugé que l’enfant ne pouvait se prévaloir de la perte de chance de ses parents de n’avoir pas un enfant handicapé en recourant à une interruption de grossesse et que les fautes du médecin n’étaient donc pas la cause directe du handicap de l’enfant (absence de lien de causalité entre la faute et le handicap). Même en prêtant une intention humaniste à la Cour de cassation – elle octroie une indemnité conséquente à l’enfant sa vie durant – le raisonnement prêtait à discussion. Les réactions souvent défavorables suscitées par cette décision de la Cour de cassation ont conduit le législateur à poser une nouvelle règle plus précise en matière de responsabilité médicale, et en termes généraux et impersonnels : « Nul ne peut se prévaloir d’un préjudice du seul fait de sa naissance. La personne née avec un handicap dû à une faute médicale pourra obtenir la réparation de son préjudice lorsque l’acte fautif a provoqué directement le handicap ou l’a aggravé ou n’a pas permis de prendre les mesures susceptibles de l’atténuer » (Fiche T.D. d’Introduction au Droit n° 4 : Article 1 de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades ; v. conclusions Didier Chauvaux sur Conseil d’Etat, 19 février 2003, M. et Mme Maurice, R.F.D.A. n°2 mars et avril 2003, p 349, note Nathalie Albert, Obligation d’information médicale et responsabilité, p. 353). On ne saurait cependant individualiser la règle de droit par ce seul caractère général et impersonnel. Ce caractère est en effet inhérent à la notion même de règle. Il est donc commun à toute prescription qui prétend s’appliquer à tout ou partie du corps social : règle religieuse, règle morale au sens large (les mœurs désignent aussi la politesse ou savoir vivre).

§ 2 LE CARACTÈRE IMPÉRATIF ET CONTRAIGNANT DE LA RÈGLE DE DROIT

La règle de droit est toujours obligatoire, même si l’interdit (la prohibition) qu’elle renferme n’est pas toujours apparent. Certaines règles de droit sont en effet supplétives de volonté. Qu’est-ce à dire ? Il y a des règles qui posent des obligations de faire ou de ne pas faire et qui s’imposent sans discussion aux sujets de droit concernés qui ne peuvent en écarter l’application : obligation de déclarer une naissance à l’état civil, obligation du repos hebdomadaire, obligation de respecter les limites de vitesse (même lorsqu’elles sont absurdes). Il y a aussi des règles qui peuvent sembler ne pas s’appliquer avec la même rigueur. En exprimant clairement sa volonté, le sujet de droit peut en écarter l’application. Ces règles ne sont pas moins obligatoires que les autres, mais elles ne s’appliquent qu’en l’absence de volonté contraire exprimée par les sujets de droit : vous êtes soumis au régime légal matrimonial si vous n’avez pas conclu un contrat de mariage (si vous n’avez pas choisi un régime conventionnel) ; vous êtes soumis au régime légal successoral, en l’absence de testament (la loi règle la dévolution des biens du défunt en l’absence de testament). La règle supplétive de volonté est donc par nature susceptible de dérogations. En revanche, « On ne peut déroger par des conventions particulières aux lois qui intéressent l’ordre public et les bonnes mœurs » rappellent l’article 6 du Code civil. La règle pénale qui interdit et punit l’homicide ne peut être écarté par le consentement de la victime : « aider » autrui à mourir (aide au suicide, euthanasie) reste, pour le moment, une infraction, un crime en France (Agathe Lepage, Suicide et Droit pénal, in Mélanges en l’honneur du Professeur Jacques – Henri Robert, précité, p. 399 ; Emile Durkheim, Le suicide, Petite bibliothèque Payot, collection Classiques, Préface de Robert Neuburger).

Les campagnes faussement humanistes orchestrées en faveur de l’euthanasie n’ont pour le moment pas conduit le législateur à aller dans ce sens. La question est rendue obscure par la confusion entretenue entre acharnement thérapeutique et euthanasie « active ». L’euthanasie dite active a été légalisée aux Pays Bas par une loi du 28 novembre 2000 et en Belgique par une loi du 16 mai 2002. Aux Pays Bas, le médecin peut pratiquer l’euthanasie si la maladie est incurable et insupportable. Le médecin doit être convaincu que la demande du patient est volontaire et réfléchie ; il doit avoir bien informé le patient et ils doivent ensemble être arrivés à la conclusion que c’est la seule issue acceptable. Le médecin doit consulter un confrère. Il doit « interrompre la vie » avec toute la rigueur possible ! En Belgique, le médecin qui pratique l’euthanasie ne commet pas d’infraction si le patient est affligé d’une souffrance physique ou psychique constante et insupportable des suites d’une affection accidentelle ou pathologique incurable. Comme la France est le pays de Descartes, on assiste parfois à des scènes curieuses : manifestation en faveur de l’euthanasie des humains un jour ; manifestation contre « l’euthanasie » d’un chien qui a sauvagement mordu un passant un autre jour… car on n’abat plus les animaux dangereux, on les « euthanasie ».

La règle de droit est coercitive ou contraignante, cela signifie que son caractère obligatoire est sanctionné par l’Etat. L’effectivité et l’efficacité de la règle sont garanties par l’Etat qui a le monopole de la contrainte organisée et légitime. La peur de l’Etat – gendarme incite au respect du droit. L’Etat est le garant de la sécurité des échanges, de la sécurité du commerce juridique. Il incarne la sécurité juridique. L’article 16 de la loi du 9 juillet 1991 énonce même que « L’Etat est tenu de prêter son concours à l’exécution des jugements et des autres titres exécutoires. Le refus de l’Etat de prêter son concours ouvre droit à réparation », mais le risque d’un trouble à l’ordre public important justifiera – s’il est établi – l’inaction de l’Etat.

Il existe une gamme foisonnante de sanctions qui sont de nature très diverse. Toute violation de la règle n’entraîne pas une sanction pénale Le violateur de la règle peut aussi encourir une sanction civile ou une sanction administrative. Quand on découvre le Droit (et quand on a vécu l’Etat d’urgence sanitaire), on est porté par la connaissance des faits divers à tout ramener au Droit pénal. La punition relève du Droit pénal et sanctionne les troubles à l’ordre public définis par le Code pénal (v. supra La justice rétributive). L’auteur présumé d’une infraction pénale a été identifié par les services de police judiciaire ou de gendarmerie qui agissent sous la direction et le contrôle des magistrats du Ministère public (ou Parquet). Selon la qualification des faits retenus contre le prévenu, il sera déféré devant le Tribunal de police, le Tribunal correctionnel ou une Cour d’assises. Les sanctions qui seront prononcées ne seront pas les mêmes : de la peine privative de liberté (la prison), en passant par la prison avec sursis, l’amende pénale (versée au Trésor public), sans oublier les peines de substitution à l’emprisonnement (retrait de permis de conduire ; le travail d’intérêt général, confiscations de biens) et les peines accessoires comme la perte et la déchéance de certains droits civils (droit d’autorité parentale), des droits civiques (droit de vote et droit d’éligibilité). Devant le juge pénal, sanctions pénales et sanctions civiles peuvent se cumuler : le juge est saisi de l’action publique mise en mouvement par le Ministère public et d’une action civile par la victime - s’il y a une victime. La société – via le Ministère public - demande au juge le châtiment pénal du coupable ; la victime demande des dommages et intérêts en réparation des préjudices civils subis.

L’Etat garantit le respect de la règle de droit en établissant les tribunaux civils, pénaux ou administratifs pour en sanctionner la violation. Le juge judiciaire dispose d’un pouvoir d’injonction, éventuellement assorti d’une astreinte pour contraindre le justiciable à respecter le droit (Articles 1451-1 à 1451-9 du Code procédure civile : injonction de faire). Le juge administratif ne dispose du pouvoir de prononcer des injonctions contre l’administration que depuis une loi n° 95-125 du 8 février 1995 (Dossier Acte du colloque : Le pouvoir d’injonction du juge administratif, R.F.D.A n° 3, mai et juin 2105, p. 441 et R.F.D.A. n° 4, juillet et août 2015, p. 643 ; Articles 911-1 et 911-2 du Code justice administrative). En s’adressant à la juridiction compétente, la victime d’un dommage obtiendra réparation (dommages et intérêts, somme d’argent égale au montant des dommages subis du fait de l’inexécution, d’un retard ou d’une mauvaise exécution d’un contrat) ; l’acheteur obtiendra la condamnation du vendeur qui ne lui a pas remis la chose convenue ; le vendeur (ou le bailleur, ou le prêteur) obtiendra la condamnation de l’acheteur (ou du locataire, ou de l’emprunteur…) qui n’a pas payé le prix (le loyer, la mensualité) convenu ; le débiteur sera condamné à faire ou ne pas faire quelque chose (exécution d’un travail, remise d’une chose, évacuation d’un local), à payer sa dette (paiement d’une somme d’argent correspondant à une vente, à un prêt). Si malgré cela, le débiteur de l’obligation ne s’exécute toujours pas, le créancier peut être autorisé à faire exécuter lui-même l’obligation aux dépens du débiteur qui peut être condamné à avancer les sommes nécessaires à cette exécution ; il peut obtenir la saisie et la vente aux enchères des biens du débiteur afin de se payer sur le produit de cette vente.

Dans l’Antiquité, le débiteur défaillant devenait l’esclave du créancier. Jusqu’à l’adoption de la loi du 22 juillet 1867, le débiteur défaillant pouvait être sanctionné pénalement en matière civile et commerciale, c’était la contrainte par corps qui conduisait le débiteur en prison pour dettes. Aujourd’hui, la coercition sur la personne, manu militari (par la force publique), n’est admise qu’en matière pénale (mandats d’amener, de dépôt ou d’arrêt) (Henri Roland et Laurent Boyer, Locutions latines du droit français, Manu militari, L.I.T.E.C., p. 261). Un huissier peut constater qu’une épouse ou un époux a abandonné le domicile conjugal, mais elle ou il n’y sera pas ramené entre deux gendarmes. L’exécution dite forcée doit respecter l’inviolabilité de la personne en Droit civil. L’huissier déménage les meubles de l’occupant sans titre d’un logement et fait changer les serrures. Il ne s’en prend pas physiquement à l’occupant. Il est la personne chargée de « procéder à l’exécution forcée et aux saisies conservatoires » (Article L. 122-1 du Code des procédures civiles d’exécution). L'huissier de justice a la responsabilité de la conduite des opérations d'exécution. Il est habilité, lorsque la loi l'exige, à demander au juge de l'exécution ou au Ministère public de donner les autorisations ou de prescrire les mesures nécessaires (Article L. 122-2 du Code des procédures civiles d’exécution)

La question du régime des sanctions liées à l’inexécution du contrat est entièrement revue par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 qui affirme – via le nouvel article 1121 du Code civil – le principe de l’exécution forcée en nature, après mise en demeure adressée par le créancier de l’obligation au débiteur. L’ordonnance codifie des exceptions jurisprudentielles en précisant que l’exécution forcée en nature ne peut être ordonnée en cas d’impossibilité « ou s’il existe une disproportion manifeste entre son coût pour le débiteur et son intérêt pour le créancier ». L’impossibilité est matérielle, juridique, morale et établie dès lors que l’exécution forcée porte atteinte aux libertés individuelles du débiteur. L’exécution forcée se traduira par une condamnation à des dommages et intérêts, à une exécution de l’obligation aux frais du débiteur. C’est pourquoi certains commentateurs se sont étonnés de la motivation pittoresque d’une (modeste) décision du Tribunal de grande instance de Paris de 1973 annulant d’office une convention de « strip-tease », comme contraire aux bonnes mœurs dans le sens entendu de l’article 6 du Code civil. Les magistrats jugeaient que l’affirmation d’obligations juridiques découlant d’une telle convention « voudrait dire dès lors que la femme, éventuellement revenue au sentiment naturel de la pudeur, pourrait se voir contrainte par le juge, au besoin sous astreinte comminatoire ou définitive, à s’exposer nue, y compris les parties sexuelles, à la vue du public ; que le caractère scandaleux de l’hypothèse d’exécution forcée révèle l’absence d’obligation juridique et la nullité de la convention de strip-tease » (Support Cours J. Laingui : Tribunal de grande instance de Paris, 3e Chambre, 8 novembre 1973, Beauvais c/ Valery, D. S. p. 401, note Marc Puech, p. 402).

L’hypothèse évoquée par le Tribunal d’une exécution forcée était matériellement, juridiquement et moralement impossible et surtout totalement farfelue en vertu de l’adage selon lequel nul ne peut être contraint directement à faire quelque chose (Nemo praecise potest cogi ad factum), surtout si elle porte, comme en l’espèce, sur la liberté intellectuelle, celle des artistes : peintres, chanteurs, acteurs, ici des musiciennes strip-teaseuses (les « Lady Birds ») ! La force publique ne saurait contraindre un peintre à faire un portrait, un ténor à chanter, ou des strip-teaseuses à se déshabiller. Il suffit de se reporter à l’affaire Whistler jugée en 1902 par la Cour de cassation (Cour de cassation, Chambre civile, 25 juin 1902, Dalloz 1903, I, p. 489, conclusions Baudouin, note A. Colin ; Sirey 1902, 1, p. 305, note Lyon-Caen : l’arrêt casse Cour d’appel de Paris, 1 février 1900, Sirey 1900, 2, p.121, note Saleilles). William Eden avait commandé au célèbre peintre impressionniste un portrait de son épouse. Le prix de l’œuvre avait été curieusement laissé à l’appréciation d’amis qui avaient donné une fourchette entre 100 et 150 guinées. Eden envoie… 100 guinées. Whistler mécontent retourne le chèque et refuse de livrer le tableau achevé ! Procès et la Cour de cassation valide le refus du peintre de livrer le portait commandé car l’artiste, le créateur d’une œuvre de l’esprit et/ou de la main, jouit d’une entière liberté et un juge ne saurait contraindre un artiste à créer ou à livrer une œuvre créée

(Jean Carbonnier, La protection des droits de l’homme de lettres et de l’artiste devant la Cour de cassation, in Ecrits, précité, p. 483). La liberté de créer sans contrainte (prohibition du travail forcé) et le droit à l’image sont des droits droits inaliénables de la personne humaine. Seule une condamnation du peintre à verser des dommages et intérêts est possible dans un tel cas, mais – et c’est un autre aspect de cet arrêt – la Cour de cassation consacre au passage l’existence d’un droit à l’image : Whistler n’est pas libre de faire ce que bon lui semble du portrait qui représentait l’épouse d’Eden… Il est exclu de faire pression, en prononçant une astreinte, lorsqu’un contrat porte sur une œuvre de l’esprit ou une activité artistique. Une astreinte pourra être prononcée, en revanche, contre un artisan (un peintre en bâtiment, un maçon, un plâtrier, un carreleur) pour le contraindre à terminer un chantier. Cette pression psychologique et financière est suffisante pour l’amener à s’exécuter, sans remettre en cause le principe de l’interdiction du travail forcé acquis au niveau national et européen (Support Cours J. Laingui : Cour de cassation, 1re Chambre civile, 16 janvier 2007, n°06-13983 : sur l’exécution forcée d’une obligation conventionnelle).

Aujourd’hui, l’exécution forcée vise donc le patrimoine et non plus la personne du débiteur. Seuls les biens mobiliers ou immobiliers du débiteur sont en principe saisissables… sauf ceux que la loi déclare insaisissables : pensions et rentes d’invalidité relevant du code des pensions civiles et militaires de l’Etat, prestations sociales, R.M.I., allocations chômage, biens meubles nécessaires à la vie et au travail du saisi et de sa famille, objets indispensables aux handicapés et personnes malades (Articles L. 112-1 à L. 112-4 du Code des procédures civiles d’exécution). A la suite d’une procédure de saisie immobilière engagée contre un débiteur défaillant, le Tribunal judiciaire pourra adjuger la maison d’habitation à des personnes qui se porteront acquéreurs (Livre III La saisie immobilière, Articles L. 321-1 à L. 322-14 du Code des procédures civiles d’exécution). Une procédure d’expulsion pourra être introduite devant le juge judiciaire si l’ancien propriétaire se maintient dans les lieux (Livre IV L’expulsion, Articles L. 411-1 à L. 433-3 du Code des procédures civiles d’exécution). L’immunité d’exécution dont bénéficient l’Etat et les personnes publiques en général, dont les biens et les créances sont insaisissables, interdit au juge de prendre à leur encontre des « mesures d’exécution forcée ou des mesures conservatoires ». Par contre, le juge (administratif ou judiciaire) peut prononcer une astreinte « qui est le corollaire de tout pouvoir d’injonction » et dont le seul effet est de mettre à la charge de la personne publique une somme que le juge compétent l’a condamnée à payer

(Support Cours J. Laingui :Tribunal des conflits, 19 mars 2007 ; Préfet de la Haute – Vienne c/ Mme Madi, n° C3497, R.F.D.A. n° 5, septembre et octobre 2007, p. 1122 : compétence du juge judiciaire pour connaître d’une demande tendant à la réparation du préjudice causé par le fonctionnement défectueux des services de l’état – civil des étrangers, assuré par l’Etat sous le contrôle du Ministère public et au prononcé d’une astreinte). Vous aurez peut être l’occasion d’étudier ce que l’on appelle les procédures civiles d’exécution ou Voies d’exécution d’ici la fin de vos études en fonction du « parcours » universitaire choisi.

La violation de la règle de droit à l’occasion d’un acte juridique, d’un acte de volonté créateur d’effets de droit, est sanctionnée par la nullité. L’acte passé en violation du droit disparaît, tous les effets qu’il a pu produire sont effacés : le bien vendu est restitué, le prix en est remboursé. Une sanction peut aussi intervenir à titre préventif pour éviter la violation de la règle de droit par le biais d’une opposition : opposition à mariage, opposition d’un créancier à un acte juridique de son débiteur passé en fraude de ses droits (qui pourrait lui être préjudiciable). Le Procureur de la République, saisi par l’officier d’état civil, peut s’opposer à un mariage en vertu de l’article 175 - 2 du Code civil si des indices sérieux laissent présumer l’existence d’une cause de nullité comme la bigamie, un mariage fictif ou « blanc », une absence de consentement comme un mariage forcé (Support Cours J. Laingui : Cour de cassation, 1re Chambre civile, 6 février 2007, pourvoi n°06-10 403, Mme Panafieu, R.F.D.A. n° 6 décembre et décembre 2007, p. 1268).

L’action paulienne permet au créancier de s’opposer, en obtenant leur révocation, aux actes d’aliénation du débiteur destinés non pas à faire face à ses obligations, mais à provoquer son appauvrissement (Article 1167 du Code civil). La sanction peut intervenir au cours de l’existence de l’acte juridique et avoir pour effet soit de l’anéantir (résolution), soit de le priver d’effet pour l’avenir : « dans ce cas la résolution est qualifiée de résiliation » dit le nouvel article 1129 du Code civil qui porte sur la résolution du contrat. La résolution met fin au contrat et résultera de l’application d’une clause résolutoire, d’une notification du créancier au débiteur ou d’une décision de justice (Article 1225 du Code civil). Un contrat de droit privé (ou de droit public) valide au moment de sa formation peut faire l’objet d’une résolution si un évènement dû à une faute d’un des contractants ou à la force majeure, remet en cause son existence même (et pas seulement la poursuite des relations contractuelles futures). On pourra poursuivre la résolution de la vente si la chose remise n’est pas celle qui avait été convenue : le vendeur reprendra la chose et l’acheteur le prix ou les acomptes. La résolution anéantit ici le contrat qui est sensé n’avoir jamais produit d’effet entre les parties : elle a un effet rétroactif. La résiliation est plus facile dans la mesure où elle prive le contrat de tout effet pour l’avenir, sans effet rétroactif. Le régime exorbitant du contrat administratif implique que l’administration contractante dispose du pouvoir de résiliation unilatérale du contrat (résiliation dite sanction, résiliation dans l’intérêt du service), sous le contrôle du juge administratif du contrat.

La violation de la règle de droit entraîne souvent des sanctions administratives infligées soit par une juridiction administrative spécialisée, soit par une autorité administrative (mais sous le contrôle du juge administratif). Les sanctions administratives sont nombreuses et interviennent dans les domaines les plus variés : sanctions fiscales, sanctions disciplinaires prononcées contre les agents publics, contre les usagers de certains services publics (étudiants, détenus), contre des personnes exerçant une profession règlementée (chauffeurs de taxis, experts – comptables, assureurs, établissements de crédit …). L’ex commission de contrôle des assurances (devenue Autorité de contrôle des assurances et mutuelles) peut infliger des sanctions diverses punissant les faits constitutifs d’un manquement à des obligations définies par des dispositions législatives et règlementaires (Conseil d’Etat, 17 novembre 2006, Société C.N.P. Assurances, R.F.D.A. n° 1, janvier et février 2007, p. 195 à p. 199 : avertissement assorti d’une publication pour manquement aux obligations légales d’information et insuffisance de provisionnement du risque résultant de l’exercice par les assurés du droit à renonciation). Cela pose parfois la question de savoir si la décision émane d’une juridiction ou d’une autorité administrative.

SECTION 2 CONFRONTATION DE LA RÈGLE DE DROIT AVEC LA RÈGLE

RELIGIEUSE OU MORALE

Beaucoup d’auteurs – lorsqu’ils procèdent à cette confrontation obligée (en Licence 1re année) – adoptent - nous sommes en France - un point de vue strictement laïque ou s’en tiennent à ce qu’ils considèrent comme une réalité (le positivisme juridique) : on ne doit pas confondre le plan juridique avec le plan moral ou religieux. M. Jean-Luc Aubert écrit ainsi : « Il ne viendrait à l’idée de personne de nier que morale et religion ont des finalités distinctes ». Le Droit seul aurait une finalité sociale : la règle morale tendrait seulement à la perfection de l’individu et l’épanouissement de sa conscience. La règle religieuse prépare l’homme à son salut dans l’autre monde… Cela participe d’une volonté politique et idéologique de rejeter les croyances morales et religieuses dans la sphère privée (Jean Carbonnier, La religion, fondement du Droit ? (1993), p. 1518-1524, in Ecrits, précité). La religion est pourtant un fait social. C’est vrai que ce sont des règles bien différentes que celle qui prescrit à l’homme d’honorer Dieu le vendredi, le samedi ou le dimanche et celles qui enjoignent au contribuable de payer son impôt, à l’automobiliste de tenir sa droite sur la route ou de respecter les contrats ! Encore que ne pas mettre en danger la vie d’autrui est une manière d’aimer son prochain (et soi-même).

Le Droit positif vise prosaïquement à assurer le bon ordre social. Le Christ a dit qu’il fallait rendre à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu. Toutes les religions recommanderont à leurs fidèles de respecter le Code de la route et de payer l’impôt. L’Etat n’interdira pas d’honorer Dieu et le repos hebdomadaire a été fixé le dimanche pour respecter une tradition religieuse… mais les pressions en faveur de l’ouverture des magasins le dimanche montre que cette tradition s’affaiblit et, qu’aux yeux de beaucoup, le droit positif devrait faire prévaloir l’économie sur le spirituel, s’il y a des volontaires pour travailler le dimanche. L’article 6 de la Convention internationale du travail n° 106 concernant le repos hebdomadaire dans le commerce et les bureaux (publiée au J.O.R.F. du 9 octobre 1971, p. 10004) prévoit que « La période de repos hebdomadaire coïncidera, autant que possible, avec le jour de la semaine reconnu comme jour de repos par la tradition ou les usages du pays ou de la région. Les traditions et les usages des minorités religieuses seront respectées dans toute la mesure du possible ».

Il y a matière à distinction et non à séparation entre le Droit et la religion, même si la loi du 9 décembre 1905 consacre la séparation des Eglises et de l’Etat. On conviendra cependant que pour la paix sociale, il est bon que les règles juridiques, morales ou religieuses s’accordent, qu’elles ne s’opposent point. Jusqu’à la Révolution de 1789, le législateur se croyait tenu de respecter et de faire respecter la morale (ou loi naturelle) et la religion catholiques (la loi divine). Le corporel était, en certaines matières, subordonné au spirituel, et le temporel à l’éternel... L’Etat s’interdisait ainsi de légiférer dans les domaines touchant à la morale et la religion. Le Droit de la famille relevait ainsi du Droit canon. Depuis la Révolution de 1789, les gouvernants cherchent à inverser ce rapport de subordination. Le XXe siècle a été marqué, en France, par l’affirmation constitutionnelle du principe de laïcité (actuellement : Article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958), par la séparation des Eglises et de l’Etat (Loi du 9 décembre 1905). Le fait religieux n’aurait pas sa place dans la vie sociale et devrait être cantonné à la vie privée. Mais rien n’est jamais aussi simple que le croient les « laïcs » comme le montre la question de la création de carrés confessionnels dans les cimetières publics, des crèches de Noël dans l’espace public et le port du « burkini » par des baigneuses musulmanes sur les plages en été (Katarzyna Kmonk, Les « carrés confessionnels » :

requiem pour la neutralité des cimetières publics ? R.F.D.A. n° 6, novembre et décembre 2016, p. 1201 ; Conseil d’Etat, Assemblée du contentieux, n° 395122 et n° 395223, Jean Morange, Les crèches de Noël entre cultuel et culturel, R.F.D.A. n° 1, janvier et février 2017, p. 127 ; Conseil d’Etat, juge des référés, 26 août 2016, n° 402742 et n° 402777, Pierre Bon, Le « burkini » au Conseil d’Etat, R.F.D.A. n° 6, novembre et décembre 2016, p. 1227).

S’agissant des mariages, il est significatif que le Code pénal (article 433-21) punisse encore (comme l’ancien Code pénal : article 199) de six mois d’emprisonnement et de 7500 Euros d’amende « Tout ministre d’un culte qui procèdera, de manière habituelle, aux cérémonies religieuses de mariage sans que lui ait été justifié l’acte de mariage préalablement reçu par les officiers de l’état civil ». Les juridictions pénales motiveront les (très rares) applications de ces dispositions et on retiendra la motivation suivante : « Attendu que la prohibition inscrite… est donc une loi de police et de sûreté qui n’a pas seulement pour objet d’assurer la sécularisation du mariage et de subordonner le sacrement au contrat ; qu’elle sauvegarde en outre les droits de la femme et ceux des enfants et préserve également l’état des citoyens, les registres paroissiaux déposés aux archives épiscopales ayant servi lors des deux dernières à la reconstitution des registres municipaux incomplets ou détruits […] et pouvant être utilisés à titre de commencement de preuve par écrit dans une action en réclamation d’état » (Tribunal de police de Dunkerque, 9 mars 1972, Gazette du Palais 1972, 1, p. 436). L’infraction a été maintenue en tant que délit, alors qu’il était envisagé d’en faire une contravention, à l’initiative du rapporteur de la commission des lois de l’Assemblée nationale parce qu’elle permettrait « d’une part de réaffirmer la laïcité de l’Etat, d’autre part de faciliter l’intégration des étrangers en France, dès lors qu’ils acceptent les prescriptions de la loi française ». La laïcité de l’Etat n’imposant pas au couple de se marier civilement, on comprend mal que ceux qui veulent faire célébrer un mariage religieux soient les seuls que l’on oblige à se marier d’abord civilement… On remarquera que la décision du Tribunal de police de Dunkerque reconnaît indirectement une certaine valeur juridique au mariage religieux (catholique) : c’est un commencement de preuve par écrit attestant l’existence d’un mariage civil.

Il n’en demeure pas moins que, même dans une société aussi laïcisée que la société française, les points d’accord restent nombreux. De nombreux préceptes religieux et moraux ont une finalité sociale et sont toujours consacrés par le droit positif. Ces préceptes constitueraient une loi « naturelle » : la fameuse loi non écrite invoquée par l’Antigone de Sophocle contre Créon qui avait prescrit de laisser les corps de ses frères, « Les frères ennemis », sans sépulture. Le Décalogue (les Commandements de Dieu) révélé à Moïse sur le Sinaï exprime également cette loi naturelle. Elle nous est « objectivement » révélée, mais ses prescriptions seraient inscrites en nous car conformes à notre nature. Elles sont « naturelles » en ce sens que même sans croire à une quelconque Révélation divine, ces prescriptions peuvent être découvertes par la lumière de la raison : condamnation du meurtre (Décalogue 5 : « tu ne tueras pas ») ; du vol (Décalogue 7 : « tu ne voleras pas ») ; du faux – témoignage du « faux » en général, du mensonge – qui entre dans la définition actuelle du dol par le Code civil (Décalogue 8 : « Tu ne mentiras pas » ; Article 1137 du Code civil : Le dol est le fait pour un contractant d'obtenir le consentement de l'autre par des manœuvres ou des mensonges)…

« Tu honoreras ton père et ta mère » (Décalogue 4) est une obligation que l’Etat législatif s’estime tenu de rappeler. C’est la piété filiale des théologiens (vertu annexe de la justice : le respect dû aux droits des parents) que le Code civil reprend à son compte depuis 1804 : « L’enfant, à tout âge doit honneur et respect à ses père et mère » (Article 371 du Code civil, Livre 1 Des personnes, Titre IX, De l’autorité parentale : Cour de cassation, 1re Chambre civile, n° 07-14272, 28 janvier 2009; Cour de cassation, 1re Chambre civile, n° 03-10679, 21 septembre 2005– prise en charge des frais d’obsèques par l’enfant). La piété filiale justifie également l’existence de l’article 205 du Code procédure civile qui défend d’entendre les enfants sur les griefs invoqués l’un contre l’autre par leurs parents en instance de divorce ou de séparation de corps. La Chambre criminelle de la Cour de cassation voit dans cette règle « bien que figurant dans un texte étranger à la procédure pénale… l’expression d’une règle fondamentale inspirée par un souci de décence et de protection des intérêts moraux de la famille qui ne saurait être tournée, même après le prononcé du divorce, par le recours à une poursuite pénale» (Cour de cassation, Chambre criminelle., 4 janvier 1985 : une plainte déposée après le divorce, pour subornation de témoins ou faux témoignage, d’un des parents contre l’autre, ne permet pas au juge d’instruction d’entendre les enfants).

De leur côté, les époux sont tenus d’assurer « ensemble la direction morale et matérielle de la famille… » (Article 213 du Code civil). Ils exercent « en commun » l’autorité parentale qui a pour but de « protéger l’enfant dans sa sécurité, sa santé, sa moralité… » (Article 371-2 du Code civil). Ils sont, en vertu de l’article 1242 (1384 ancien) du Code civil relatif à la responsabilité du fait d’autrui, civilement responsable des dommages causés par l’enfant qui est sous leur garde ou plus exactement « sous leur autorité parentale ». Nous sommes tenus à une obligation alimentaire envers nos parents, nos enfants… En fonction de leurs moyens, les enfants devront participer aux frais de placement de leurs vieux parents dans les maisons de retraite : les collectivités publiques n’ont pas à en prendre la totalité en charge… Les commissions d’aide sociale ont compétence pour fixer dans quelles mesures les frais de placement des personnes âgées dans les maisons de retraite sont pris en charge par les collectivités publiques, pour fixer au préalable le montant de la participation aux dépenses laissée à la charge du bénéficiaire de l’aide sociale et de ses débiteurs alimentaires. En revanche, « il n’appartient qu’à l’autorité judiciaire d’assigner à chacune des personnes tenues à l’obligation alimentaire le montant et la date d’exigibilité de leur participation à ces dépenses » (Conseil d’Etat, 16 juin 2004, Casteig, R.F.D.A. n° 4, juillet et août 2004, p. 876).

Cette insistance sur la moralité n’est pas propre au Droit de la famille, puisque l’article 6 du même Code civil nous oblige toujours (pour le moment) à respecter l’ordre public et les bonnes mœurs dans ces actes juridiques importants de vie civile que sont les conventions. La morale est toujours bien présente dans les obligations civiles : règle qui interdit de tromper autrui pour l’amener à conclure un contrat, c’est ce vice du consentement que l’on nomme le dol ; l’erreur est un autre vice du consentement et ce parce qu’il ne serait pas moral de profiter de l’erreur d’autrui ; l’enrichissement sans cause ou « injustifiée » (selon la terminologie adoptée par l’article 1303-1 du Code civil) oblige celui dont le patrimoine s’est enrichi indûment d’un bien à le restituer : une vente d’immeuble est annulée mais l’acheteur a effectué des travaux et les a payés. Le vendeur s’est enrichi sans cause car le contrat de vente ne donnait pas au vendeur le droit de conserver cet enrichissement qui est sans cause : l’enrichissement du patrimoine de l’un et l’appauvrissement consécutif du patrimoine de l’autre ne procèdent pas d’une cause juridique légitime. Si la vente avait été parfaite, le problème ne se serait pas posé. Est injustifié, l’enrichissement qui ne résulte ni de l’exécution d’une obligation par l’appauvri, ni d’une intention libérale. Notre Droit se réfère à un comportement moral chaque fois qu’il il exige loyauté, bonne foi…

Le Droit ne verse cependant pas dans le moralisme ou la pudibonderie, comme les magistrats du Tribunal de grande instance de Paris qui annulèrent en 1973 – affaire déjà évoquée - une convention portant sur l’organisation d’un spectacle de « strip-tease » comme contraire aux bonnes mœurs (Support Cours J. Laingui: Tribunal de grande instance de Paris, 3e Ch., 8 novembre 1973, précité). Jugement d’autant plus curieux que la Cour d’appel de Paris acceptait déjà à cette date de réparer le préjudice esthétique subi par une personne exerçant une profession « où la beauté un instrument de travail » : mannequin bien sûr… mais aussi strip – teaseuse. Un annotateur se demandait quand même – mais c’était en 1960 - « si l’immoralité de l’intérêt allégué n’aurait pas pu être opposée à la réclamante» (Cour d’appel de Paris, 20 juin 1960, Revue trimestrielle de Droit civil 1960, p. 646, observations Tunc)… Jean Carbonnier ajoutait cependant – en 1964 – avec une sévérité qui n’était déjà plus celle de la Cour d’appel de Paris et encore moins celle de la jurisprudence actuelle - « à tout le moins, on pourrait soutenir que l’intérêt d’une personne à ne pas paraître balafré n’existe que dans les limites où n’opère pas l’obligation sociale qu’elle a de se vêtir » (Jean Carbonnier, in Ecrits, précité, p. 538).

L’obligation sociale de se vêtir ? Il est en effet interdit de se promener dans la tenue d’Adam, par les villes et par les champs, comme l’a rappelé à un citoyen britannique la Cour européenne de sauvegarde des droits de l’homme… peut – être par crainte de voir le prétoire envahi de naturistes. La liberté d’expression – article 10 de la Convention européenne - ne le

permet pas (Support Cours J. Laingui :Cour européenne des droits de l’homme, 28 octobre 2014, Gough c/ Royaume uni de Grande – Bretagne, précité). Une Cour d’appel qui a relevé qu’un contrat d’assurance avait pour objet de garantir les conséquences de l’annulation d’une exposition utilisant des dépouilles et organes de personnes humaines à des fins commerciales, en a exactement déduit que, bien qu’ayant été conclu avant l’entrée en vigueur de l’article 16-1-1 du Code civil, ce contrat avait une cause illicite et, partant, qu’il était nul. Le principe d’ordre public, selon lequel le respect dû au corps humain ne cesse pas avec la mort, préexiste à la loi n° 2008-1350 du 19 décembre 2008, d’où est issu l’article 16-1-1 du Code civil (Fiche de Méthodologie disciplinaire n° 4 : Cour de cassation, 1re Chambre civile, 29 octobre 2014, n° 13-19729 : conséquences financières de l’affaire « Our Body »). On regrettera la disparition de l’article 1128 du Code civil affirmant : « il n’y a que les choses dans le commerce qui puissent être l’objet des conventions ». Le nouvel article 1162 se borne à affirmer plus sobrement que « Le contrat ne peut déroger à l’ordre public ni par ses stipulations, ni par son but que ce dernier ait été connu ou non par toutes les parties ». Les règles d’ordre public dont il est ici question s’appliquent « absolument » et « impérativement», il n’est pas possible d’y déroger.

Les spectacles érotiques, voire pornographiques sont eux parfaitement licites sous réserve de ne pas mettre en scène des mineurs ou d’être vus par des mineurs. La liberté du commerce et de l’industrie s’exerce en la matière dans les conditions établies par les lois qui protègent la morale publique en en fixant les limites. Les films font ainsi l’objet d’un classement en catégories (Article R. 211-12 du Code du cinéma et de l’image animée). Seule l’entrée dans la première catégorie permet de bénéficier de l’autorisation « tous publics ». Entrer dans les catégories suivantes interdit de projeter le film devant des mineurs de moins de douze ans, puis de moins de seize ans, puis de moins de dix-huit ans sans inscription sur la liste des publications et films pornographiques (le fameux classement X) qui font l’objet d’un traitement particulier avec un régime fiscal pénalisant et sont également interdits aux moins de dix-huit ans (Article L. 311-2 du Code du cinéma et de l’image animée). Une dernière catégorie concernait les films qui font l’objet d’une interdiction générale et absolue a été supprimée : la dernière interdiction remontait à 1979. Cette « échelle de moralité » est établie par un décret que l’on modifie à volonté en fonction de l’interprétation qu’en donne la jurisprudence quand il est demandé au juge d’apprécier le caractère pornographique ou non pornographique de

certaines scènes (Support Cours J. Laingui :Conseil d’Etat, 30 juin 2000, Association Promouvoir, M. et Mme Mazaudier et autres, n° 222194 et n° 222195). Pour l’industrie des films à caractère pornographique, le préjudice économique n’est jamais important puisque la diffusion en salle présente beaucoup moins d’intérêt économiquement que la diffusion sur internet.

Il y a bien sûr dans la société contemporaine, bien des domaines où un fossé s’est creusé entre la loi positive et la loi dite naturelle ou réputée « naturelle » à laquelle se réfère la morale dite « traditionnelle » (« chrétienne » en réalité sous nos latitudes). On entend dire partout que les mœurs évoluent… mais le législateur étatique y est aussi pour beaucoup. Les partisans de l’avortement, avant l’adoption de la loi n° 75 – 17 du 17 janvier 1975, et aujourd’hui ceux de l’euthanasie invoquent toujours la relativité de la morale pour justifier leur combat… en oubliant que les sociétés païennes pratiquaient déjà l’avortement, l’infanticide (enfants infirmes) et l’euthanasie active (des vieillards, des bouches inutiles en période de disette). Les préceptes de la loi dite « naturelle » n’ont jamais été universellement acceptés et respectés. Montaigne se plaît, dans un chapitre des Essais, à répertorier les conduites contradictoires adoptées par les hommes dans le temps et l’espace : « Ici on vit de chair humaine ; là c’est un devoir de piété de tuer son père lorsqu’il a un certain âge ; ailleurs les pères désignent, parmi les enfants encore au ventre de leurs mères ceux qu’ils veulent que l’on garde et que l’on élève et ceux qu’ils veulent que l’on abandonne et que l’on tue »

(Montaigne, Essais, Livre I, Chapitre XXIII, Sur la coutume et sur le fait qu’on ne change pas aisément une loi reçue, Honoré Champion, p. 136.). Il en conclut qu’« Il n’est rien sujet à plus continuelle agitation que les lois… il n’est rien en somme si extrême qui ne se trouve reçu par l’usage de quelque nation ». Y – a – t – il une loi naturelle ?

Les préceptes de la loi naturelle sont aujourd’hui mis à rude épreuve par la science et par le législateur qui tend à considérer que tout ce que la science permet de faire est un progrès et – c’est bien connu - on n’arrête pas le progrès. Les sciences dites de la vie et le Droit permettent aujourd’hui à la femme qui peut avoir un enfant d’y échapper par la contraception (Loi n° 67 – 1176 du 28 décembre 1967 dite Neuwirth) et l’avortement (Loi n° 75 – 17 du 17 janvier 1975, dite Veil); à ceux qui ne peuvent avoir un enfant naturellement d’en concevoir un par l’assistance médicale à la procréation (Livre premier, Titre VII De la filiation,

Chapitre 1er, Section 3 De l’assistance médicale à la procréation, Articles 311 - 19 et 311 - 20 du Code civil)… Une jurisprudence de la Cour de cassation sur le « transsexualisme » - développée pour satisfaire la Cour européenne des droits de l’homme - permet même à un homme qui se croit femme (et réciproquement) de prendre l’apparence du sexe qu’il ou elle croit être le sien, mais aussi de faire transcrire ce changement à l’état civil : modification du nom, rectification de la mention du sexe (Cour européenne des droits de l’homme, 25 mars 1992, B. c/ France, n° 13343/87 ; Cour de cassation Assemblée Plénière, 11 décembre 1992, [deux arrêts] : le principe de l’indisponibilité de l’état des personnes ne fait plus obstacle à la modification de la mention du sexe sur le registre de l’état civil).

Le Droit doit satisfaire l’« irrésistible désir de féminité ou de masculinité » ou de « neutralité sexuelle », comme il doit satisfaire l’« irrésistible refus d’enfant » ou l’« irrésistible désir d’enfant ». Le Droit objectif doit répondre favorablement à tous les besoins de droits subjectifs exprimés par l’individu car les besoins de l’individu créent des droits subjectifs. L’Etat législatif – parlementaire aurait pour fonction de reconnaître et garantir sans barguigner tous les droits subjectifs revendiqués par les sujets de droit. Jean Carbonnier avait proposé en son temps Le besoin créateur de droit comme sujet de thèse à un de ses étudiants (Jean Carbonnier, Préface à Essai sur le besoin créateur de droit (1969), in Ecrits, précité,

p. 467-470). L’assistance médicale à la procréation permet de surmonter les problèmes d’infécondité ou de stérilité : on peut prélever l’ovule et le féconder in vitro (en laboratoire) avant de réimplanter l’embryon (ou ovocyte fécondé) dans l’utérus. L’opération peut être réalisée au sein d’un couple, mais on peut faire appel à un donneur de sperme ou d’ovule ou bénéficier du transfert des ovocytes fécondés d’un autre couple qui a renoncé à son projet parental. On pourrait y voir une forme totalement renouvelée, élargie et surmédicalisée d’une vieille coutume codifiée par le Deutéronome - le Lévirat – qui obligeait le cadet à épouser la veuve de frère si le défunt était sans descendance pour que le premier né de l’union puisse continuer le nom du défunt. C’est parce qu’il avait refusé cette coutume en jetant sa semence par terre qu’Onan fut foudroyé par Yahvé. On pourrait en faire le « saint patron » des Centre d’études et de conservation du sperme humain (C.E.C.O.S.). Avec le progrès des sciences et du consumérisme, rien ne se perd : sperme, ovocyte fécondés « surnuméraires » en attente d’un projet parental sont conservés par le service hospitalier compétent… et il n’est plus besoin de relations sexuelles pour s’assurer une descendance. La technique de l’insémination artificielle permet d’ailleurs de concevoir avec le sperme du conjoint ou celui d’un tiers donneur.

On comprend du coup l’intérêt, voire l’obsession du législateur contemporain pour la « déontologie », pour l’éthique, termes savants pour aborder les questions touchant à la morale. Il a adopté en 1994 les lois dites « bioéthiques » et la loi n°2000-800 du 6 août 2004 contient un Chapitre II intitulé Ethique et crée un « Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé » représentatif des « principales familles philosophiques et spirituelles » (les « grands prêtres » de l’éthique). Ce Comité a pour mission « de donner des avis sur les problèmes éthiques et les questions soulevés par les progrès de la connaissance dans les domaines de la biologie, de la médecine et de la santé » (Articles L. 1412-1 et suivants du Code de la santé publique). La morale existe donc encore, mais il s’agit de la morale scientifique, sans grand rapport avec la morale « traditionnelle » ou « naturelle », dont l’axiome principal peut être ainsi résumé : « Tout ce que la science peut faire se fera ». La technique scientifique fait loi. La science est pour beaucoup une religion de substitution, ce qu’avait annoncé Renan dans un ouvrage composé en 1848-1849, publié en 1890 (Ernest Renan, L’avenir de la science). D’où d’étonnants procès et de non moins étonnants jugements et arrêts, mais on n’a tort de s’étonner. L’hôpital public est-il responsable des dommages causés aux ovocytes fécondés « surnuméraires » d’un couple du fait de la défaillance du matériel de procréation médicalement assistée ? Oui puisqu’il y a responsabilité sans faute de l’hôpital public en cas de défaillance du matériel médical. Mais quels sont les chefs de dommages réparables ?

La jurisprudence nous fournit un aperçu des réponses possibles : « (…) en vertu de l’article 16-1 du Code civil : «… le corps humain, ses éléments et ses produits ne peuvent faire l’objet d’un droit patrimonial. » ; (…) les époux T. peuvent se prévaloir de l’existence d’un préjudice matériel résultant de la perte d’ovocytes, [mais] les dispositions (…) du Code civil s’opposent à ce qu’ils puissent en demander la réparation en argent ; (…) les ovocytes surnuméraires ne sont pas des personnes ; (…) par suite, les époux T. ne sont pas fondés à se prévaloir de l’existence d’un préjudice moral résultant de la perte d’êtres chers ; (…) les requérants ont droit d’obtenir réparation des troubles divers dans les conditions d’existence qu’ils ont subis à l’occasion de cet incident, dont il sera fait une juste appréciation en leur allouant à ce titre une somme de 10 000 euros ; (…) M. et Mme T. sont âgés respectivement de 44 et 32 ans et donc à même de réaliser une nouvelle procréation médicale assistée, ils ne peuvent se prévaloir d’aucune perte de chance d’être parent résultant de cet incident ; (…) ils ne sont pas fondés à demander à être indemnisés de ce chef » (Tribunal administratif d’Amiens, 9 mars 2004, Epoux T. c/ C.H.U. d’Amiens, R.F.D.A. n°4 juillet et août 2004, p. 789, conclusions [contraires] de Bertrand Boutou).

On comprend que le Tribunal administratif d’Amiens ait prudemment rejeté l’existence d’un « préjudice moral résultant de la perte d’un être cher » puisque « les ovocytes surnuméraires ne sont pas des personnes ». Dire le contraire risquait de remettre « moralement » en cause le droit à l’avortement consacré par le législateur étatique. L’Assemblée plénière de la Cour de cassation se montre encore plus nette quand elle refuse de retenir l’incrimination d’homicide involontaire d’autrui contre un chauffard en état d’ébriété qui a blessé une femme enceinte de six mois dont on a dû déclencher l’accouchement : la patiente a expulsé par voies basses un enfant mort – né de sexe féminin de 37 centimètres et 1100 grammes : « Le principe de la légalité des délits et des peines, qui impose une interprétation stricte de la loi pénale, s’oppose à ce que l’incrimination prévue par l’article 221 – 6 du Code pénal réprimant l’homicide involontaire d’autrui, soit étendue au cas de l’enfant à naître dont le régime juridique relève de textes particuliers sur l’embryon et le fœtus

» (Fiche Méthodologie disciplinaire n° 4 :Cour de cassation, Assemblée plénière, 29 juin 2001, n° 99.85973 ; Jean Carbonnier, Note sur l’arrêt de la Cour d’appel de Metz du 3 septembre 1998 (homicide involontaire), in Ecrits, précité, p. 88-94). L’arrêt n’est pas isolé puisque la Chambre criminelle avait déjà eu l’occasion de juger, toujours en se retranchant derrière l’interprétation stricte de la loi pénale, qu’une interruption involontaire de grossesse sur un fœtus de cinq mois et demi ne constitue pas un homicide volontaire : la patiente venue pour le suivi de sa grossesse avait subi par erreur une opération visant à l’extraction d’un stérilet qui tua le foetus (Fiche Méthodologie disciplinaire n° 4 :Cour de cassation, Chambre criminelle, 30 juin 1999, n° 97-82.351, J.C.P. 2000, II, n° 10 231).

Notre époque est donc marquée par une contradiction : d’un côté, on réaffirme avec solennité et à toute occasion la dignité intrinsèque de la personne humaine ; de l’autre on est conduit à déprécier la vie humaine à son commencement pour permettre, par exemple, l’exercice du droit subjectif à l’avortement. Emile Durkheim a écrit sur cette « religion de l’humanité », mais il classait le suicide au nombre des actes immoraux « car il nie, dans principe essentiel cette religion de l’humanité »... alors qu’aujourd’hui des groupe de pression font campagne pour l’euthanasie (le suicide volontaire ou involontaire assisté) au nom du droit de mourir dans la dignité (Emile Durkheim, Le suicide, précité, p 398-402). Le Conseil Constitutionnel a reconnu dans une décision du 27 juillet 1994 relative à une des lois dites bioéthiques « que la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme d’asservissement et de dégradation est un principe à valeur constitutionnelle » (Conseil constitutionnel, n° 94-343/344 du 27 juillet 1994). Il a rattaché ce principe au Préambule de la constitution du 27 octobre 1946 : « Au lendemain de la victoire des peuples libres sur les régimes qui ont tenté d’asservir et de dégrader la personne humaine, le peuple français proclame à nouveau que tout être humain, sans distinction de race, de religion, ni de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés ». La loi n° 94-653 du 29 juillet 1994 (soumise au contrôle du Conseil constitutionnel) a eu pour effet d’insérer dans le Livre I - Des personnes du Code civil le Chapitre 2 Du respect du corps humain », Articles 16 à 16-9.

L’article 16 du Code civil est une déclaration d’intention du législateur : « La loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie ». La jurisprudence judiciaire semble faire peu de cas du dernier membre de phrase que l’embryon soit surnuméraire (confié au service de conservation des ovocytes fécondés in vitro) ou in utero (dans le sein maternel). La jurisprudence administrative semble plus favorable à l’embryon in utero puisqu’il est arrivé au Conseil d’Etat de sous – entendre que l’embryon dans le ventre de sa mère est une personne, au moins à l’expiration du délai imparti à la mère pour exercer son droit à l’avortement, lequel peut être allongé en tant que de besoin (Conseil d’Etat, Assemblée du contentieux, 21 décembre 1990, Confédération nationale des associations familiales catholiques, n° 105743, n° 105810, n° 105811, n° 105812, A.J.D.A. 1991, p. 158). La jurisprudence judiciaire participe du courant de réification de l’embryon et présente incontestablement l’avantage de ne gêner ni l’évolution des mœurs, ni l’évolution des sciences, ni surtout les intérêts économiques qui la soutiennent : la décision d’avorter ne doit soulever aucune question morale ; la recherche sur l’embryon, sur la matière humaine n’en soulève plus guère depuis la loi du 8 août 2004 qui autorise la recherche scientifique, en interdisant (pour le moment) de réimplanter in utero cet « objet de recherche ». Un effet du principe de précaution sans doute ? Les plants de maïs O.G.M. ou les expérimentations sur l’animal suscitent des débats plus intenses.

L’Etat législatif – parlementaire reste finalement le seul arbitre des bonnes et mauvaises mœurs, c’est à lui de dire ce qui est moral et ce qui ne l’est pas, ce qui le devient, mais ne l’était pas encore sous une majorité parlementaire précédente. Des considérations morales inspirent encore la législation et la jurisprudence. La loi (ou la « morale » ?) commande encore la gratuité, l’anonymat des dons d’organes ou de produits du corps humain (sang, sperme, gamètes, embryons), d’être en âge de procréer dans le cadre de l’assistance médicale à la procréation - 42 ans pour les femmes - mais l’anonymat du donneur de gamètes est plus une question de respect du droit à la vie privée que de respect d’une

quelconque règle morale (Conseil d’Etat, Avis contentieux, 13 juin 2013, M. M., n° 362981, conclusions Edouard Crépey, R.F.D.A. n° 5, septembre et octobre 2013, p. 1051 : Anonymat du donneur de gamètes et respect de la vie privée). La loi réservera – t - elle encore longtemps l’assistance à la procréation au couple formé d’un homme et d’une femme (article L. 2141-2 du Code de la santé publique) ? C’est peu probable.

Si l’homme doit, en principe, être en vie au moment de l’implantation, l’implantation post – mortem est désormais possible si consentement a été donné (Article 2141-2 du Code de la santé publique). La révision en 2011 des lois bioéthiques montre que le législateur a entendu le « besoin d’enfant » exprimé par quelques veuves, il finira bien par entendre ceux qui plaident en faveur de la constitution d’une famille homosexuelle ou monoparentale (femme célibataire ou homosexuelle). L’article 16-7 du Code civil rappelle encore que « Toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui est nulle ». Cette disposition devait mettre un terme au développement (en France) de la pratique dite des mères porteuses que le Conseil d’Etat et la Cour de cassation avaient tous deux condamnée, l’un parce que par son objet cette pratique est contraire à la loi pénale qui réprime l’abandon d’enfant ; l’autre parce qu’elle contrevient à des principes d’ordre public : ceux d’indisponibilité du corps humain et d’indisponibilité de l’état des personnes (Conseil d’Etat, 21 janvier 1988, Association Les cigognes, R.F.D.A. 1988, p. 95 : légalité de l’opposition du préfet contre l’inscription de cette association au registre des associations d’un tribunal d’instance fondée sur l’article 61 du code civil local des départements du Bas – Rhin, Haut - Rhin et Moselle. L’association avait pour objet de mettre en contact couples stériles et mères « porteuses » ; Cour de cassation, Assemblée plénière, 31 mai 1991, D. 1991, p. 417 : nullité d’une convention à titre gratuit).

Rien n’est jamais définitif car la pression militante et économique est forte, surtout qu’existent des législations plus libérales que la nôtre en Europe et dans le monde et qu’il est donc possible de frauder, de transgresser la loi (a fortiori la morale) en la contournant. La Cour d’appel de Paris, dans un arrêt rendu en 2007, ouvrait une brèche en permettant, dans l’intérêt des enfants bien entendu, l’inscription de deux jumelles obtenues par gestation pour autrui en Californie, en tant qu’enfants du couple français qui avait eu recours à cette pratique. La Cour de cassation saisie d’un pourvoi par le Ministère public cassa ce refus patent d’observer et d’appliquer la loi française, mais on pouvait toujours espérer que la loi change où que la Cour européenne des droits de l’homme rende une décision allant dans le sens du progrès. Le législateur refuse encore l’assistance médicale à la procréation aux personnes qui sont privées d’une descendance uniquement du fait de l’orientation sexuelle qu’elles ont librement choisie : le refus des relations sexuelles avec une personne du sexe opposé s’oppose à la procréation. Les homosexuels (femme ou homme) ne parvenaient pas non plus à obtenir individuellement ou en couple le droit d’adoption plénière : les Présidents des Conseils départementaux refusent de donner l’agrément en vue de l’adoption et la juridiction administrative a toujours confirmée la légalité de ces décisions (Conseil d’Etat, 5 juin 2002, Melle Berthet, R.F.D.A. n° 4, juillet et août 2002, p. 866).

La Cour européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales voit dans une telle décision une discrimination contraire à l’article 14 de la Convention dont elle assure le respect. Mais ces conceptions par trop traditionnelles vont céder le pas devant la « modernité » : des avis rendus par la Cour de cassation prépareront une évolution du Droit, sans que le législateur s’en mêle. Ainsi quand la Cour de cassation répond favorablement à une demande d’avis formulée par un Tribunal de grande instance (Tribunal judiciaire) , dans une instance introduite par la compagne ou l’épouse (loi Taubira) aux fins d’adoption plénière de l’enfant de sa conjointe, conçu par recours à une insémination artificielle avec donneur inconnu, à l’étranger et en fraude de la loi française (Cour de cassation, 22 septembre 2014, Avis n° 15010, Demande n° 1470007 ; Cour de cassation, 22 septembre 2014, Avis n° 15011, Demande n° 1470006). C’est bien sûr l’intérêt de l’enfant – ce que les magistrats considèrent comme son intérêt - qui commande la solution retenue. L’intérêt de l’enfant est par excellence ce que Jean Carbonnier appelle une notion juridique « à contenu variable » (Jean Carbonnier, Les notions à contenu variable dans le Droit français de la famille, in Ecrits, précité, p. 649). Le juge y met ce qu’il lui plaît d’y mettre, ce qu’on lui demande d’y mettre.

La Cour de cassation rechignait encore devant la gestation pour autrui, mais la Cour européenne des droits de l’homme n’y voit rien à redire et considère – au contraire – que la législation et la jurisprudence françaises portent atteinte au droit à la vie privée de l’enfant

(Cour de cassation, 1re Chambre civile, 19 mars 2014, n° 13-50.005 ; contra : Cour européenne des droits de l’homme, 26 juin 2014, Labassée c/ France, n° 65941/11 ). S’agissant de personnes homosexuelles, c’est bien leur orientation sexuelle choisie librement qui leur interdit - mais pas toujours ! - de procréer « naturellement ». La loi française se montre désormais très favorable aux homosexuels dont les orientations ne sont plus de « mauvaises » mais de bonnes mœurs. Les homosexuels ont d’abord pu s’adonner aux joies du concubinage légal. Pure situation de fait, le concubinage fait aujourd’hui l’objet d’une définition légale car cela a permis de faire rentrer dans le Droit la relation homosexuelle (Article 515-8 du Code civil) : « Une union de fait caractérisée par une vie commune présentant le caractère de stabilité et de continuité entre deux personnes de sexe différent ou de même sexe qui vivent en couple ».

Cela fait plusieurs décennies que le concubinage stable et fidèle d’un homme et d’une femme ouvre droit à indemnités sur le fondement de l’article 1382 (Article 1240 actuel), en cas de décès d’un des concubins (Cour de cassation, Chambre mixte, 27 février 1970, Dangereux, D. 1970, J. p. 201). Mais la Cour refusait de reconnaître tout effet de droit et donc la moralité du concubinage homosexuel (Cour de cassation, Chambre sociale, 11 juillet 1989). On a légalement défini le concubinage pour briser cette jurisprudence d’arrière - garde. Le législateur a créé ensuite le pacte civil de solidarité ou P.A.C.S. (Article 515-1 du Code civil) qui est « un contrat conclu par deux personnes physiques majeures, de sexe différent ou de même sexe, pour organiser leur vie commune ». Créé par le législateur, ce contrat n’est plus contraire aux bonnes mœurs. Rien de nouveau sous le soleil ! Aristote rapporte que « pour inciter les hommes à s’éloigner des femmes afin de limiter les naissances, il [le législateur crétois] a légalisé les relations sexuelles entre hommes » (Les Politiques, II, 10). L’homosexualité a d’incontestables vertus contraceptives. On notera cependant, preuve que les mœurs n’évoluent pas assez vite, que la définition du P.A.C.S. interdit d’en faire un lien juridique pour abriter des relations incestueuses qui restent (encore) un « tabou » universel. Elles ne sont donc pas morales, même si l’inceste n’était pas – il y a peu encore - en tant que tel une infraction pénale, ce qu’il est finalement devenu (Répression au titre du viol : Article L. 222-31-2 du Code pénal sur le viol ou l’agression sexuelle incestueux ; après quelques difficultés : Conseil constitutionnel, n° 2011-163 QPC du 16 septembre 2011 M. Claude N. [Définition des délits et crimes incestueux]).

La loi n’allait pas jusqu’à autoriser le « mariage » des homosexuels, mais la chose ne paraissait plus impossible. Citons encore Montaigne : « Il y a des peuples où l’on voit des bordels publics de mâles, et même des mariages » (précité, p. 134). Carl Schmitt, juriste allemand catholique, rappelait en 1917, la position d’un Père de l’Eglise catholique romaine – Saint Augustin - sur la question du mariage : « Au sujet de la relation humaine la plus importante, celle qui est élevée au rang du sacrement et d’institution juridique, le mariage, Augustin croit nécessaire de souligner que Dieu l’a instituée ante peccatum hominis ab initio (avant le pêché originel dès l’origine) » (Carl Schmitt, La visibilité de l’Eglise, Catholicisme romain et forme politique, Donoso Cortés, Présentation de Bernard Bourdin, Cerf, collection La nuit surveillée, p. 149). Il y avait un grand pas à franchir que le législateur ne faisait pas… Pourquoi ? Peut - être par crainte de faire perdre toute crédibilité au mariage civil qui n’en a déjà plus guère. Dans l’affaire des « mariés » homosexuels de Bègles, la Cour de cassation avait rappelé que « selon la loi française, le mariage est l’union sexuelle d’un homme et d’une femme » (Cour de cassation, 1re Chambre civile, 13 mars 2007, n° 05-16627). L’affirmation était un peu molle car uniquement fondée sur la loi française qui peut changer. C’était bien le sens d’une décision du Conseil constitutionnel sur le sujet qui fait ainsi du législateur l’arbitre des moeurs (Décision n° 2010-92 QPC du 28 janvier 2011 Mme Corinne C. et autre [Interdiction du mariage entre personnes de même sexe]). L’interdiction du mariage homosexuel n’était contraire à aucun principe fondamental reconnu par les lois de la République. Quand même ! La loi n° 2013-404 du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe a modifié notre Droit civil : l’article 143 du Code civil affirme désormais que le mariage est contracté par deux personnes de sexe différent ou de même sexe. Le mariage considéré comme l’union d’un homme et d’une femme – consacré par l’Ancien Droit comme par le Droit nouveau issu de la Révolution ne repose cependant – selon le Conseil constitutionnel – sur aucun principe fondamental reconnu par les lois de la République (Conseil constitutionnel, 17 mai 2013, décision n° 2013-669 D.C. loi ouvrant le mariage aux couples formés de personnes de même sexe). Le commentaire de cette décision mémorable sur le site du Conseil constitutionnel - rédigé par le Secrétariat général de l’institution – affirme la compétence du Parlement sur les « sujets de société » et donc sa liberté de changer les mœurs, ce qui paraît beaucoup moins grave que de prétendre abolir le droit (inaliénable et sacré) de propriété.

La Cour de cassation avait accepté également la modification de la mention du sexe sur le registre d’état civil réclamée par le transsexuel, elle a donc accepté sans difficulté le « mariage » homosexuel. Pourtant, si la règle de droit a une finalité sociale, on perçoit encore la finalité du mariage entre deux époux de sexe différent. Il s’agit de fonder une famille, de pourvoir à l’éducation des enfants qui naîtront de cette union, de préparer leur avenir, de les protéger durablement dans leur sécurité, leur santé (physique et psychique), leur moralité. Le Code civil rappelle ces obligations… Quelle est la finalité sociale du mariage de deux personnes de même sexe ? Il est paradoxal de voir le droit positif favoriser, sous prétexte de lutter contre les discriminations, des personnes dont la sexualité est caractérisée par le rejet physique du sexe opposé et donc de la procréation écologique (conforme à la science des conditions d’existence). Si l’Etat législatif parlementaire n’a pas à juger le comportement des personnes pour des faits concernant leur vie privée (rappelons à nouveau que les infractions contre la religion et la morale ont disparu depuis 1791), il n’a pas non plus à les glorifier à raison de leurs « orientations sexuelles » qui n’intéressent qu’elles-mêmes, puisque c’est justement du ressort de leur vie privée, du non - droit. La vie sexuelle d’un couple formé de deux personnes de sexe différent n’intéresse le Droit que dans la mesure où ces personnes ont des enfants. Encore que... la chronique judiciaire contemporaine révèle toujours des surprises (Tribunal de grande instance de Montpellier, 1re Chambre b - Chambre de la famille, 22 juillet 2016, n° de

R.G. : 15/0019, X. c/ M. le procureur de la République). C’est bien pourquoi la « copula carnalis » ou union des chairs (le mariage consommé) reste un élément important du mariage pour les canonistes (les juristes spécialistes du droit de l’Eglise catholique) et l’impuissance un empêchement dirimant au mariage, voire une cause de nullité du mariage (Henri Roland et

Laurent Boyer, Locutions latines du droit français, Copula carnalis / Union des chairs, L.I.T.E.C., p. 66). Le mariage doit produire des fruits et fournir une assise stable à la famille.

Une assise très fragile aujourd’hui puisque la législation, en autorisant, puis en facilitant le divorce a évidemment créé un fossé entre le droit positif et le Droit de l’Eglise catholique qui a influencé si longtemps la matière. Le divorce, interdit entre 1816 et 1884, a été rendu de plus en plus facile depuis la loi n° 75-617 du 11 juillet 1975 portant réforme du divorce. Le mariage religieux reste, en revanche, indissoluble et le divorcé remarié est adultère aux yeux de l’Eglise catholique. En admettant que le sacrement soit subordonné au contrat civil, il n’est pas effacé par la dissolution du mariage civil. L’influence de l’Eglise catholique étant cependant très limitée, y compris sur ses fidèles, le divorce est un « succès » pour le législateur. Si l’on en croit les statistiques, on divorce de plus en plus : un divorce pour deux mariages en Ile de France, un divorce pour trois mariages en province. Le nombre des mariages est fortement en baisse. Faut-il s’en réjouir ? Les procédures de divorce assurent le quotidien des avocats en mal de clientèle et c’est pourquoi le législateur hésite à supprimer totalement le caractère judiciaire de la procédure. Il tarde également à supprimer le divorce pour « faute » dont l’existence montre que les divorces (comme les mariages) ne sont pas toujours heureux.

Il n’est pas surprenant dans ces conditions de voir le concubinage et surtout le nombre des P.A.C.S. exploser. Cette dernière formule est choisie – disent les études statistiques – par les enfants de divorcés échaudés par l’expérience malheureuse de leurs parents… Ces études montrent d’ailleurs que 95% des P.A.C.S. sont signés par des personnes de sexe différent, ce qui est normal puisqu’il est plus facile et moins coûteux de rompre ce contrat que de divorcer : ni maire, ni juge, ni avocats ! La rupture du P.A.C.S. résulte d’une déclaration conjointe remise au greffe du tribunal d’instance du lieu de résidence de la décision unilatérale signifiée à l’autre contractant et enregistrée par le greffe du Tribunal judiciaire ou du tribunal de proximité. Le P.A.C.S. n’a pas séduit autant d’homosexuels qu’on le disait. Etait-ce ce vraiment une demande des personnes ayant cette « orientation sexuelle » ? Il y a peu de jurisprudence les concernant, on retiendra une ordonnance en référé pittoresque du président du Tribunal de grande instance de Lille qui considère que le P.A.C.S. impose une obligation de vie commune et doit être loyalement exécutée. En cas de manquement, le juge peut commettre un huissier assisté d’un serrurier et d’un commissaire « aux fins de constater l’adultère » ! Cela ouvrira une procédure de résiliation aux torts exclusifs du partenaire fautif (Président du Tribunal de grande instance de Lille, ordonnance du 5 juin 2002). Ils vont désormais pouvoir divorcer s’ils se marient. L’évolution des sciences, des mœurs et du Droit offre aux spécialistes - juristes et sociologues de la famille – un vaste champ d’études portant sur les familles monoparentales, les familles décomposées et recomposées, les familles dites homoparentales… Le risque étant de faire naître chez beaucoup une opinion déjà exprimée par Montaigne « que c’est mal pourvoir un pays de lui donner des jurisconsultes et des médecins » (précité, Livre III, Chapitre XIII Sur l’expérience, p. 274). Doit-on considérer avec l’auteur des Essais que le Droit est « une science génératrice, par sa nature, de disputes et de divisions » ?

SECTION 3 LA SPÉCIALISATION DE LA RÈGLE DE DROIT : L’EXEMPLE DU

CODE CIVIL

La matière juridique est diverse et diverses sont les disciplines juridiques que vous allez étudier en Licence et en Master. Il suffit de regarder les vitrines des librairies juridiques ou les catalogues des maisons d’éditions spécialisées pour prendre conscience de la complexité croissante du « Droit ». Nul n’est censé ignoré la loi, le Droit doit être accessible et intelligible par tous, d’où l’entreprise de codification poursuivie depuis la Révolution française (Jean Carbonnier, La maxime « Nul n’est censé ignorer la loi » en droit français, in Ecrits, précité,

p. 1216). La codification du Droit civil étant exemplaire à cet égard puisqu’elle se poursuit actuellement sous couvert de réformes (§1). Au travers du Code civil, nous présenterons (sommairement) les grandes branches de cette discipline juridique que vous allez étudier dans les trois, quatre ou cinq années qui viennent (§ 2).

§ 1 L’ENTREPRISE DE CODIFICATION DU DROIT CIVIL

L’idée de codification est ancienne (le règne de Louis XIV a été marqué par un intense travail législatif), mais elle a pris une force particulière au XVIIIe siècle car elle devient alors une exigence de la « Raison ». Les Codes prétendent rassembler, de manière raisonnée et organisée, l’ensemble des règles applicables aux activités constitutives de la vie sociale et politique. Cela se traduit aujourd’hui par l’existence de très nombreux codes qu’il faut constamment remettre à jour… L’activité législative ne cesse jamais, au risque de lasser les parlementaires. L’idéal d’exhaustivité que présuppose la codification est donc difficile à atteindre car la règle de droit objectif n’est pas ou n’est plus assez stable. Un code sur support papier, publié une fois l’an par un éditeur, est souvent immédiatement dépassé par une réforme législative nouvelle. L’outil informatique présente de ce point de vue l’avantage de permettre une remise à jour régulière, de présenter une « version consolidée » du Code. Bien sûr, certains Codes « historiques » ont traversé le temps, mais leurs auteurs auraient parfois du mal à reconnaître leur texte.

L’histoire du Droit est finalement celle des transformations du Droit civil, du Droit pénal, du Droit commercial (en Droit des affaires), du Droit public qui est - à son tour - atteint par le phénomène de codification. Il existe un Code général des collectivités territoriales depuis 1996, un Code générale de la propriété des personnes publiques depuis 2006, un Code de justice administrative… Nous avons maintenant un Code des relations entre le public et l’administration qui contient un Titre sur l’acte administratif unilatéral et un Code de la commande publique consacrée aux contrats administratifs les plus importants : marchés publics et contrats de concession. Il n’est plus possible de présenter le Droit administratif comme un droit exclusivement jurisprudentiel. Si l’on s’intéresse à « la fabrique d’un Code » aujourd’hui, on se reportera au dossier consacré au Code des relations entre le public et l’administration dans la Revue française de Droit administratif de janvier et février 2016 (v. Maud Vialettes et Cécile Barrois de Sarigny, La fabrique d’un Code ; Marie – Anne Levêque et Célia Vérot,

Comment réussir à simplifier ? Un témoignage à propos du Code, R.F.D.A. n° 1, janvier et février 2016, p. 4 à p. 16).

Le Consulat et l’Empire nous avaient laissé de beaux monuments : Code civil (1804), Code d’instruction criminelle de 1808 (devenu Code de procédure pénale), Code pénal de 1810 (remplacé par un nouveau Code pénal entré en vigueur le 1er mars 1994), Code de procédure civile remplacé par le « nouveau » Code de procédure civile entre 1975 et 1981, Code de commerce (moins novateur). La liste actuelle des Codes est impressionnante et ne cesse depuis de s’allonger, il suffit de se reporter aux catalogues des éditeurs ou au site de LegiFrance : Code du travail, Code de la sécurité sociale et de la mutualité, Code de la construction et de l’habitation, Code rural, Code de l’éducation, Code de la route, Code de la voirie routière, Code de l’urbanisme, Code de l’environnement, Code de la consommation… Il est inutile de poursuivre, mais ces quelques exemples montrent que la spécialisation de la règle de droit est une réalité et qu’elle traduit un envahissement du champ social par le Droit. Nous nous bornerons dans cette section à présenter le Code civil puisque le cours est aussi une Introduction au Droit civil.

La décision de rédiger un Code civil résulte d’un arrêté du 12 août 1800 (24 thermidor an VIII) qui confiait cette tache à quatre éminents juristes de l’époque: Tronchet (1726 – 1806), président du Tribunal de cassation, ancien défenseur du roi Louis XVI, connaît bien la coutume de Paris ; Portalis (1746 – 1807), membre du Tribunal de cassation, est provençal et représente la tradition romaniste (ce qui n’exclut pas un attachement qui lui sera reproché au droit coutumier) ; Bigot de Préameneu (1747 – 1825), commissaire du gouvernement au Tribunal de cassation, représente l’ouest et la coutume de Bretagne, Maleville (1741 – 1824), membre du Conseil des prises est du sud – ouest (Patrick Arabeyre, Jean – Louis Halpérin, Jacques Krynen, Dictionnaire historique des juristes français, P.U.F., coll. Quadrige Dicopoche).

Bonaparte, Premier consul de 1799 à 1804, voulait donner une constitution civile aux Français qui ferait la synthèse entre l’ancien droit et le nouveau droit issu de la Révolution. L’objectif était de stabiliser la société civile, comme on venait de stabiliser l’Etat. Ce n’était pas une mince affaire si l’on en croit Philippe Sagnac qui a étudié la législation civile de la révolution française ou Droit « intermédiaire » : « De 1789 à 1804 deux grands courants d’idées opposés ont passé successivement sur le Droit civil français. De 1789 à 1795, c’est l’égalité et la liberté ; de 1795 à 1804, c’est de plus en plus l’autorité. Il y aurait donc deux périodes à distinguer dans l’histoire même de la Révolution française : « une période de progrès et une période de réaction. Le Droit civil français suit alors les fluctuations politiques » (Philippe Sagnac, La législation civile de la Révolution française, Paris 1898, Mégariotis Reprints, 1979, p. 55).

On aura compris que dans l’esprit de l’auteur (ardent républicain sous la Troisième République), Bonaparte, c’est l’autorité, le retour à l’ancien Droit et donc la réaction ennemie du « progrès ». C’est très excessif, mais on doit approuver l’auteur lorsqu’il lie les évolutions du Droit civil français aux fluctuations politiques, c’est vrai à toutes les époques, y compris la nôtre. Les évolutions que nous avons détaillées en confrontant la règle de droit à la règle morale ou religieuse sont dues à des fluctuations politiques, elles répondent à des a priori idéologiques. Ceux que Bonaparte traitait avec mépris d’idéologues sont à l’œuvre en tous temps… sauf en 1800, car les juristes choisis par Bonaparte pour rédiger le projet de Code civil sont tous politiquement des juristes pragmatiques et modérés qui réagissent contre les excès idéologiques de la période révolutionnaire qu’ils viennent de traverser. Leur âge au moment où ils entreprennent le travail qui leur est confié montre qu’ils doivent leur science du droit à l’Ancien Régime. Ils veulent réaliser une synthèse harmonieuse entre les traditions juridiques (celles des pays de Droit écrit ou romain du sud de la France et celles des pays de coutume au nord) et les principes issus du droit révolutionnaire.

Le projet de Code civil est rédigé en quatre mois et suivra la procédure législative compliquée prévue par la Constitution du 13 décembre 1799 (ou 22 frimaire an VIII). Après avoir été soumis pour avis au « Tribunal » de cassation et aux « Tribunaux » d’appel (le mot Cour qui rappelle l’Ancien Régime est encore banni… pour peu de temps), le projet sera rédigé par le Conseil d’Etat (en présence de Bonaparte qui préside de nombreuses séances), avant d’être discuté et amendé par le Tribunat et porté devant le Corps législatif qui ne pouvait que l’adopter ou le rejeter. Il rencontra l’hostilité de bon nombre de tribuns qui jugèrent le projet – surtout son Livre préliminaire œuvre de Portalis - trop imprégné de l’esprit de l’Ancien Régime et trop peu révolutionnaire. C’est bien ainsi que l’entendait Bonaparte qui voulait concilier la tradition juridique française (Droit coutumier et Droit romain) et la modernité révolutionnaire. Portalis, en réaction contre le dogme légaliste révolutionnaire qui faisait du juge l’esclave de la loi, osait le qualifier de « ministre d’équité », lui interdisait de refuser de juger sous le prétexte du silence, de l’obscurité ou de l’insuffisance de la loi écrite puisqu’il pouvait appliquer alors «la loi immuable et éternelle de la raison ». Le projet de Livre préliminaire se référait à la coutume qualifiée de « supplément des lois » et dont Portalis donnait la définition traditionnelle.

C’était plus que ne pouvait supporter certains tribuns attachés à la suprématie de la loi, expression de la volonté générale. Cette opposition mécontenta fortement Bonaparte qui choisit d’épurer le Tribunat des « idéologues » pour faire passer « son » Code. L’ensemble du projet put être adopté, non seulement le Titre (et non plus le Livre) préliminaire (très édulcoré), mais aussi les trente six lois soumises entre 1803 et 1804 aux Assemblées assagies. Elles constituent les trente six titres du Code et furent réunies « en un seul corps de lois, sous le titre de Code civil des Français » par la loi du 21 mars 1804 (ou 30 ventôse an XII, promulguée le 10 germinal suivant, article 1er). Portalis avait dû lâcher du lest sur le Titre préliminaire, mais il nous a laissé son brillant Discours préliminaire sur le projet de Code civil qui en résume l’esprit : « Un législateur isolerait ses institutions de tout ce qui peut les naturaliser sur la terre, s’il n’observait avec soin les rapports naturels qui lient toujours plus ou moins le présent au passé et l’avenir au présent » ; « Jamais un peuple ne s’est livré à la périlleuse entreprise de se séparer subitement de tout ce qui l’avait civilisé et de refaire son entière existence » ; « Les théories nouvelles ne sont que les maximes de quelques individus ; les maximes anciennes sont l’esprit des siècles ».

L’architecture du Code est restée à peu près inchangée jusqu’à nos jours. Le Titre préliminaire est suivi d’un Livre premier qui traite des personnes, d’un Livre deuxième qui traite des biens et d’un Livre troisième qui « Des différentes manières dont on acquiert la propriété ». Se sont ajoutés depuis, un Livre quatrième intitulé « Des sûretés » (chapitre détaché du Livre troisième) et un Livre cinquième concernant les dispositions applicables… à Mayotte (qui n’est certainement pas à sa place). L’organisation interne de chaque Livre est inchangée : un Livre se divise en Titres, le Titre est divisé en chapitres, le Chapitre en sections et la Section en articles. Le Code comportait 2281 articles en 1804 ; dans sa « version consolidée au 15 septembre 2020 », il en comptait 2534, mais les articles 2458 à 2534 concernent Mayotte. Nous n’insisterons pas ici sur le Titre préliminaire (intitulé inchangé) « De la publication, des effets et de l’application des lois en général ». Il comportait huit articles à l’origine, six dans la version actuelle, qui sont importants et seront examinés séparément ultérieurement. L’article 1er n’a été modifié que très récemment (et très tardivement…) par l’ordonnance n° 2004-164 du 20 février 2004 relative aux modalités et effets de la publication des lois et de certains actes administratifs (v. infra Titre 2, Chapitre 1, Section 2, §1, B/ La publication de la loi). L’article 2 concerne l’application de la loi dans le temps sur lequel il y a beaucoup à dire (v. infra, Titre 2, Chapitre 1, Section 2, §2). L’article 3 concerne l’application de la loi dans l’espace et constitue un des fondements du droit international privé

français (v. infra, Titre 2, Chapitre 2, Section 2, §3 L’application de la loi dans l’espace, A/ les conflits de lois dans l’espace). Les articles 4 et 5 posent la question de l’autorité et de la place de la jurisprudence (v. infra, Titre 2, Chapitre 4, Section 2 La jurisprudence). Nous avons déjà rencontré l’article 6 dans la section précédente puisqu’il rappelle le respect (très relatif) dû aux « bonnes mœurs » et nous n’y reviendrons pas.

§ 2 LES « PILIERS » DU DROIT CIVIL

La matière des trois premiers Livres nous renvoie à ce que Jean Carbonnier appelait « Les trois piliers du Droit » : « Famille, propriété, contrat sont de tradition, les trois piliers de l’ordre juridique » (Jean Carbonnier, Flexible droit, Troisième partie Les trois piliers du Droit, L.G.D.J.). Nous laisserons de côté le Droit des contrats et obligations évoqué dans certains de nos développements précédents, mais il faut insister sur le bouleversement introduit par l’ordonnance n° 2016-132 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations. La structure du Livre III du Code civil est modifiée avec un Titre I intitulé : Des successions et libéralités, comprenant les article 720 à 892 ; un Titre II intitulé : Des libéralités, comprenant les articles 893 à 1099-1 ; un Titre III intitulé : Des sources d’obligations, comprenant les articles 1100 à 1303-4 ; un Titre IV intitulé : Du régime général des obligations, comprenant les articles 1304 à 1352-9 et un Titre IV bis intitulé : De la preuve des obligations, comprenant les articles 1353 à 1386-1. Mais la réforme n’est pas qu’une modification de structure, elle est aussi une réforme de fond, une modernisation du Droit qui était certainement nécessaire, même si l’on regrettera quelque temps l’article 1382 devenu 1240, comme les anciens regretteront toujours l’article 2279 devenu 2276…

Le Livre premier du Code s’intitule « Des personnes » était divisé en onze titres à l’origine, il en compte douze actuellement. Le Titre I Des droits civils (Articles 7 à 16-13) est suivi d’un Titre 1 bis De la nationalité française (Articles 17 à 32-5). La nationalité est un élément important de la personnalité et le Code de 1804 n’ignorait pas la question dans son Titre 1er unique « Sur la jouissance et la privation des droits civils ». La nationalité fait l’objet de huit chapitres du Titre I bis qui ne doit pas faire oublier l’existence du volumineux Code de la nationalité. L’acquisition de la nationalité française donne à l’individu un état politique, la citoyenneté, et confère la jouissance des droits politiques : « [ils] s’acquièrent et se conservent conformément aux lois constitutionnelles et électorales » (Article 7 du Code civil, rédaction issue de l’article 1 de la loi du 29 juillet 1994).

La jouissance des droits civiques reste l’apanage du citoyen français, mais le Traité de Maastricht sur l’Union européenne de 1992 a conféré depuis lors le droit de vote et d’éligibilité aux citoyens européens dans l’Etat membre où ils résident aux élections municipales et aux élections au Parlement européen (Article 88 - 3 de la Constitution du 4 octobre 1958). Le Droit national comme du Droit européen tendent à minorer la nationalité en tant qu’élément de la personnalité en matière civile (lutte contre la discrimination). La jouissance des droits civils est aujourd’hui indépendante de celle des droits civiques et elle est garantie au Français et à l’étranger au nom de l’égalité et de la liberté, « droits naturels et imprescriptibles de l’homme » (Articles 7 et 8 du Code civil). On est revenu à l’universalisme de la législation civile révolutionnaire. Ce n’était pas l’esprit de la législation de 1804 : la loi du 10 mai 1802 a rétabli l’esclavage dans les colonies, revenant sur le vote de la Convention du 4 février 1794 et les Déclarations des droits de 1793 et 1795 (« L’homme ne peut se vendre ni être vendu, sa personne n’est pas une propriété aliénable »). Cette abolition obéissait pour beaucoup à un calcul politique, car la République était alors privée de ses colonies… En attendant le décret du gouvernement provisoire de la Deuxième République qui abolira définitivement l’esclavage en 1848, il y aura des hommes totalement privés de la jouissance des droits du Code civil.

Le Titre 2 du Code concerne les actes de l’état civil (Sept chapitres, Articles 34 à 101). Le Code de 1804 consacrait un acquis de la Révolution qui a véritablement créé l’état civil qui permet d’individualiser chaque être humain au sein de la société et de sa famille. L’ancien droit ne connaissait pas, à proprement parler, un « état civil », il connaissait les registres paroissiaux ou de catholicité sur lesquels les curés enregistraient des actes exclusivement religieux mais intéressant la vie « civile » des personnes concernées : les actes de baptême et de mariage (deux sacrements) et la cérémonie de sépulture. L’initiative de cet enregistrement revient aux évêques et l’on connaît une ordonnance de l’évêque de Nantes en date du 3 juin 1406. La législation royale ne fera que généraliser et rendre obligatoire cette pratique plus ou moins bien respectée par les curés car la bonne tenue des registres est tributaire du sérieux de celui qui le tient (Ordonnance de Villers – Cotterêts de 1539, ordonnance de Blois de 1579). Les registres font preuve en justice de l’âge, du mariage et du temps du décès.

Sous l’Ancien Régime, on ne peut distinguer l’état confessionnel d’un individu (son appartenance obligatoire à la religion catholique) et son état civil. La révocation de l’édit de Nantes par l’édit de Fontainebleau de 1685 avait mis les calvinistes demeurés en France (500 000 à la fin de l’Ancien Régime) dans une situation cruelle : ils étaient réputés convertis au catholicisme… ce qui n’était pas le cas. Pour être objectif, il faut rappeler que la situation juridique des catholiques dans les Etats protestants n’est pas meilleure (les discriminations disparaîtront très tardivement en Grande Bretagne au XIXe siècle), sauf en Prusse où Frédéric II, totalement irréligieux, est totalement tolérant. Les protestants français ne recouvrent un état civil que par l’édit de novembre 1787 qui en 1789 n’est pas enregistré par tous les Parlements du royaume (Isambert, Tome XXVIII, p. 472). L’édit de 1787 est important dans la mesure où il donne aux protestants un statut purement civil : on leur accorde un mariage « civil » et ils peuvent faire constater la naissance d’un enfant par déclaration devant un juge ou par acte de baptême. La liberté du culte protestant n’est pas rétablie (elle n’existe qu’en Alsace, depuis son annexion à la Couronne, au profit des Luthériens).

Le Code consacre la sécularisation de l’état civil qui est un service public de l’Etat installé dans chaque mairie : le décret de l’Assemblée législative du 20 septembre 1792 est confirmé. L’acte d’état civil ne donne plus aucune information sur l’appartenance de l’individu à une confession religieuse quelconque : les éléments collationnés concernent son état personnel (nom de « famille », prénoms, sexe, lieu, dates de naissance et du décès) et son état familial (la parenté, mariage). « L’acte d’état civil est un écrit dans lequel l’autorité publique constate, d’une manière authentique, un évènement dont dépend l’état d’une ou plusieurs personnes » (Cour de cassation, 1re Chambre civile, 14 juin 1983, B.I. n° 174, p. 153).Vous commencerez l’étude de cette matière de manière plus détaillée dans le cours de Droit civil consacré au Droit des personnes : problème de la nature du droit au nom, procédures permettant de changer de prénom, de nom de famille, de rectifier la mention du sexe à l’état civil. Quelques précisions montreront que même en ce domaine, le Code s’écarte actuellement de l’esprit initial de ses rédacteurs de 1800/1804 pour se rapprocher, voire dépasser l’esprit de la législation civile révolutionnaire : toujours moins d’autorité et plus d’égalité et de liberté (individuelle) dans la législation civile contemporaine.

Dans sa rédaction issue de la loi du 8 janvier 1993, l’article 57 du Code civil laisse les parents entièrement libres de choisir le prénom de leur enfant, le procureur de la République averti par l’officier d’état civil a la faculté de saisir le juge des affaires familiales, dans l’intérêt de l’enfant… La tradition juridique française voulait que l’enfant portât le nom de son père quand sa filiation était établie à l’égard de ses parents. C’est une « discrimination » jugée contraire à l’égalité entre l’homme et la femme par les « idéologues » de la fin du XXe siècle. La loi n° 2002 – 304 du 4 mars 2002 supprime en conséquence l’expression nom « patronymique » au profit du nom de famille. Les deux parents choisissent librement de donner à l’enfant le nom du père, ou de la mère, les deux noms accolés dans l’ordre qu’ils souhaitent (mais dans la limite d’un nom pour chacun d’eux… s’ils portent déjà des noms composés). En cas de désaccord, le père retrouve son privilège, ce qui paraît peu conforme à l’esprit général du système ! Le choix fait pour le premier enfant concerne les enfants suivants. A leur majorité, les enfants se voient reconnaître le droit d’ajouter à leur nom celui de leur auteur qui ne leur a pas transmis le sien… mais il faudra se résoudre à abandonner l’un d’eux quand il s’agira de transmettre un nom de famille à ses propres enfants ! On peut espérer que le respect de la tradition juridique qui avait le mérite de la simplicité (à défaut de satisfaire à l’égalité des sexes) l’emportera le plus souvent... sauf s’il s’agit de « sauver » un nom de famille de l’extinction (« relever » un nom). C’était possible sous l’empire de l’ancienne législation (sur le droit au relèvement du nom : Conseil d’Etat, Assemblée du contentieux, 19 mai 2004, Consorts Bourbon, R.F.D.A. n° 4, juillet et août 2004, p. 868).

Il est remarquable que le Code civil ne comporte aucun Livre, ni aucun Titre spécifiquement consacré à la famille. Il reflète l’individualisme libéral qui triomphe avec la Révolution française qui met d’abord l’accent sur la personne, sur l’individu libre. Les règles constitutives du droit familial s’inscrivent aussi bien dans le Livre premier consacré aux personnes puisque la famille est composée d’individus nés libres et égaux en droits que dans le Livre troisième consacré aux différentes manières dont on acquiert la propriété. Hériter de ses père et mère ou d’un « parent » est une manière d’acquérir la propriété. Philippe Sagnac dresse le tableau suivant droit familial de la Révolution : « La Révolution avait apporté dans le droit familial un esprit de liberté, d’égalité et d’amour qui, sans bouleverser entièrement la famille l’avait transformée assez pour déchaîner des critiques passionnées : on reprochait à ce droit familial d’avoir dégradé le mariage, favorisé le concubinage, supprimé l’autorité paternelle (…) ». (Philippe Sagnac, précité, p. 355). Cambacérès, un des juristes les plus actifs en matière de législation civile sous la Révolution avant 1795, déclare (après 1795) ce droit « immoral », « funeste à la tranquillité publique » et « à la sociabilité ». L’actuel Titre XII du Livre premier « Du pacte civil de solidarité et du concubinage » (P.A.C.S. : Articles 515 – 1 à 515 – 7 ; concubinage : Article 515 - 8) montre que le législateur contemporain est revenu aux meilleures sources et qu’il va même plus loin : on n’imagine pas Cambacérès, pourtant homosexuel notoire (mais honteux), proposer la légalisation du concubinage et des relations homosexuelles à Bonaparte, a fortiori le mariage des homosexuels… Plus qu’un Droit de la famille, nous avons aujourd’hui un Droit des familles.

On est loin du Code de 1804 qui renouait en partie avec la tradition juridique de l’Ancien Régime en rétablissant « l’exclusivisme de la famille légitime » fondé sur le lien sacré… du mariage civil. « Ne me parlez surtout pas de ces filiations marginales ! L’Etat n’a d’intérêt qu’à la filiation des enfants légitimes » disait Bonaparte. Nous avons un droit de la famille légitime puisqu’elle seule existe en 1804. Sur la famille « légitime » règne le père qui exerce la puissance maritale sur son épouse et la puissance paternelle sur les enfants. Bonaparte avait rétabli l’autorité de l’exécutif dans l’ordre politique, il rétablissait l’autorité du mari et père dans l’ordre familial. Le Droit révolutionnaire avait cherché à la réduire au nom de l’égalité des sexes et de la liberté des enfants, elle est restaurée en termes inoubliables : « Le mari doit protection à la femme, la femme obéissance à son mari » (Article 213 ancien) ; la femme est traitée comme une mineure, « protégée » par un statut d’incapacité juridique (« La femme (…) ne peut donner, aliéner, hypothéquer, acquérir à titre gratuit onéreux, sans le concours du mari dans l’acte, ou son consentement écrit » : Article 217 ancien) ; l’article 372 ancien dispose que l’enfant reste sous l’autorité de ses père et mère jusqu’à sa majorité ou émancipation, mais le père «seul» exerce cette autorité durant le mariage ajoute l’article 373 ancien. C’est assez caractéristique de l’esprit de synthèse qui anime les auteurs du Code civil : l’Ancien droit n’ignorait pas le droit d’autorité parentale exercé par les deux époux (dans les « Pays de coutumes »), mais les pays de droit écrit (de Droit romain) ne connaissaient que la puissance paternelle.

L’effort du législateur civil du XXe siècle consistera à donner progressivement une pleine capacité juridique à la femme mariée, en supprimant la puissance maritale (Loi du 18 février 1938) et en rétablissant l’égalité des sexes dans le mariage (Loi n° 70-459 du 4 juin 1970 relative à l’autorité parentale « supprime » le chef de famille ; la loi n° 85 – 1372 du 23 décembre 1985 est «relative à l’égalité des époux dans les régimes matrimoniaux et des parents dans la gestion des biens des enfants mineurs»). Les lois adoptées entre 1970 et 2002 ont fait disparaître la puissance paternelle au profit de l’exercice commun de l’autorité parentale, laquelle n’exige d’ailleurs ni lien conjugal, ni même vie commune (Articles 371 à 387 du Code civil, Livre I, Titre IX De l’autorité parentale,). Dernière inégalité dans le mariage à disparaître, celle de la majorité requise pour convoler en juste noce : dix - huit ans révolus pour l’homme, quinze ans révolus pour la femme, disait l’article 144 dans sa rédaction initiale. On tenait compte de certaines réalités biologiques et comportementales. Le législateur contemporain, sensible au discours féministe, y a vu une discrimination intolérable d’où une rédaction nouvelle : « L’homme et la femme ne peuvent contracter mariage avant dix - huit révolus » (Loi n°2006 – 399 du 4 avril 2006). Il est vrai que l’on se marie de moins en moins, de plus en plus tard et souvent pour des raisons fiscales. Le mariage des homosexuels ne fera pas remonter les statistiques nuptiales.

Le Droit révolutionnaire avait été tenté d’assimiler les enfants naturels (même les adultérins et les incestueux) aux enfants légitimes. On avait finalement opté pour l’égalité entre l’enfant légitime et l’enfant naturel reconnu. L’enfant naturel non reconnu, l’enfant adultérin ou incestueux n’avait aucun droit et il lui était interdit d’exercer une action en recherche de paternité naturelle (Article 340 ancien du Code civil : « La recherche de paternité est interdite »). L’article 334 du Code civil de 1804 autorisait la reconnaissance de l’enfant naturel « par un acte authentique, lorsqu’elle ne l’aura pas été dans son acte de naissance », mais sa part successorale était réduite en cas de concurrence avec des frères et sœurs légitimes, des descendants, ascendants ou collatéraux. Il ne succédait ni à ses aïeuls, ni aux collatéraux. Il avait droit aux aliments. Non reconnu – et un acte sous seing privé comme une simple lettre ne vaut pas reconnaissance - l’enfant naturel pouvait espérer obtenir d’une décision de justice les aliments nécessaires à sa subsistance : les juges admettaient, par exemple, l’existence qu’une obligation contractuelle de pourvoir à l’alimentation d’un enfant non reconnu peut résulter d’une simple lettre. La demande ne relevait pas du Droit de la famille (l’enfant n’appartenant pas à la famille du géniteur), mais du Droit des contrats et obligations (Dir.

Christiane Plessix – Buisset, Ordre et désordre dans les familles, Grégoire Bigot, La jurisprudence au secours de l’alimentation des enfants illégitimes au XIXe siècle, P.U.R. 2002, p. 125).

L’enfant de la femme mariée bénéficie de longue date de la présomption légale de paternité du mari, ce qui n’interdit pas l’action en désaveu de paternité (Article 312 du Code civil,

Livre I, Titre VII De la filiation, Chapitre II De l’établissement de la filiation ; Articles 332 à 337 du Code civil,

Chapitre III Des actions relatives à la filiation, Section 3 Des actions en contestation de filiation). Le mari pouvait justifier de tous faits propres à écarter la présomption (absence pendant la période conception, impuissance, inconduite de la mère). Il peut profiter aujourd’hui des progrès de la science pris en compte par le Code civil : identification de la personne par ses empreintes génétiques « en exécution d’une mesure d’instruction ordonnée par le juge saisi soit d’une action tendant à l’établissement ou à la contestation d’un lien de filiation, soit à l’obtention ou la suppression de subsides. Le consentement de l’intéressé doit être préalablement et expressément recueilli. Sauf accord exprès de la personne manifestée de son vivant, aucune identification par empreintes génétiques ne peut être réalisée après la mort » (Article 16 – 11 du Code civil, modifié par la loi n° 2005 – 270 du 24 mars 2005).

L’évolution de la législation civile sur la longue durée a conduit à autoriser l’exercice de l’action en recherche de paternité naturelle. C’est chose faite depuis 1912 (Article 327 du

Code civil : « La paternité hors mariage peut être judiciairement déclarée. L’action en recherche de paternité est réservée à l’enfant »). La loi affirme désormais l’égalité successorale parfaite entre l’enfant légitime et l’enfant naturel, même adultérin (Loi 2001-1135 du 3 décembre 2001 relative aux droits du conjoint survivant et des enfants adultérins et modernisant diverses dispositions de droit successoral). Seule la filiation incestueuse continue à ne pouvoir être établie que vis-à-vis de la mère. L’enfant né par assistance médicale à la procréation, fusse avec tiers donneur, a une filiation établie vis-àvis de l’homme et de la femme qui ont mené à bien le projet parental (Article 311 – 19 : « (…)

aucun lien de filiation ne peut être établi entre l’auteur du don et l’enfant issu de la procréation » ; Article 311 – 20 : « le consentement donné (…) interdit toute action aux fins d’établissement ou de contestation de la filiation (…)). Il ne peut demander à avoir accès à ses origines biologiques : la présomption de paternité et l’accouchement de la mère établissent une filiation incontestable. La France est également le seul pays qui autorise l’accouchement anonyme, « sous X. » (Article L. 222 – 6 du Code de l’action sociale et des familles).

La loi n° 2002 – 93 du 22 janvier 2002 a limité la possibilité de demander le secret de l’état civil de l’enfant aux mères qui accouchent sous X., tout en ouvrant la possibilité pour l’enfant d’avoir accès à ses origines… si la mère y consent (Conseil d’Etat, ordonnance, 25 octobre 2007, Mme Y, R.F.D.A. n°2, mars et avril 2008, p. 335, note Olivier Le Bot, Le respect de la vie privée comme liberté fondamentale : le secret de l’identité de la mère relève du respect de la vie privée. Il protège toujours les mères qui ont remis un enfant aux services de l’aide sociale à l’enfance - sans qu’il ait eu accouchement sous X. - avant la loi du 22 janvier 2002). La Cour européenne des droits de l’homme avait jugé que « le droit à la connaissance de ses origines… trouve son fondement dans l’interprétation extensive de la notion de vie privée », ce qui n’interdit pas au législateur étatique de refuser l’accès aux origines lorsque la mère tient à l’anonymat au moment de l’accouchement (Cour européenne des droits de l’homme, 13 février 2003, Odièvre c/ France, J.C.P. G. 2003, II, 100049, note A. Gouttenoire et F. Sudre). C’est assez souligner l’importance d’un droit civil – le droit au respect de la vie privée - expressément affirmé par l’article 9 du Code civil depuis une loi du 17 juillet 1970. Il y figurait implicitement en 1804 si l’on considère que le père d’un enfant naturel était en droit de ne pas le reconnaître, de tenir secrète la relation hors mariage ou adultérine qu’il entretient avec la mère... Le droit à la vie privée de la mère qui accouche sous X. l’emporte sur celui de l’enfant puisqu’elle peut encore légalement refuser la levée du secret. Si elle consent à la levée du secret, cela ne créera cependant ni droit, ni obligation, d’un côté comme de l’autre.

L’enfant né sous X. rejoint les enfants trouvés, abandonnés (déclarés abandonnés par un jugement du Tribunal judiciaire : article 350 du Code civil), orphelins ou dont les parents ont été déchus de l’autorité parentale, pouvant faire l’objet d’une procédure d’adoption. La filiation adoptive avait été encouragée et facilitée par le droit révolutionnaire. Bonaparte avait tenu à conserver cette institution car il n’avait pas d’enfant de Joséphine Beauharnais et, devenu Empereur, il lui fallait un successeur. Mais la faculté d’adopter était restreinte à la personne sans enfant et qui n’avait plus l’âge requis pour convoler en justes noces civiles (la cinquantaine passée). L’adopté devait être majeur, ce qui lui permettait de consentir à la modification de son état civil car il ne sortait pas de sa famille biologique (s’il en avait une). Le Code civil distingue désormais deux types d’adoption : l’adoption simple (plus proche de la conception initiale de l’adoption) et l’adoption plénière (plus proche de l’adoption révolutionnaire). L’adoption simple crée, par jugement, un lien de filiation volontaire avec l’adoptant, sans rupture avec la famille d’origine : l’adopté conserve tous ses droits dans sa famille d’origine et acquiert les mêmes droits dans la famille adoptive (Livre deuxième, Titre VIII De la filiation adoptive, Chapitre II De l’adoption simple, Articles 360 à 370 – 2); l’adoption plénière a pour effet de rompre tout lien de l’adopté (mineur) avec la famille d’origine qui est assimilé quant à ses droits et obligations dans la famille adoptive à un enfant légitime (Chapitre I De l’adoption plénière, articles 343 à 359). Il y 3000 adoptions prononcées par an, mais il y aurait 30 000 familles en attente… L’adoption internationale se développe, ce qui peut créer des conflits entre la loi étrangère et la loi française d’où un chapitre nouveau introduit dans le Code civil par la loi n° 2001 – 111 du 6 février 2001 (Chapitre III Du conflit des lois relatives à la filiation adoptive et de l’effet en France des adoptions prononcées à l’étranger, Articles 370-3 à 370 – 5).

Autre « institution » civile que Bonaparte a tenu à conserver dans « son » Code : le divorce. Toujours pour le même motif : se réserver la possibilité de contracter un nouveau mariage et d’avoir un héritier. Il divorcera de Joséphine de Beauharnais. Le droit révolutionnaire l’avait institué au motif qu’on ne peut s’engager contractuellement pour la vie, car ce serait renoncer à la liberté que la Déclaration des droits de l’homme de 1789 venait d’affirmer comme un des droits naturels et imprescriptibles de l’homme. Le décret du 20 septembre 1792 autorisera le divorce pour sept causes déterminées (de la démence, en passant par les sévices et les injures, le dérèglement notoire des mœurs, l’abandon ou l’absence pendant cinq ans), mais aussi le consentement mutuel des époux et l’incompatibilité d’humeur. Egalité et liberté pour se libérer d’un lien dont on ne veut plus, selon une procédure que l’on simplifie le plus possible et sans délais ou presque, car ils sont réduits au maximum (Philippe Sagnac, précité, p. 288 à 293 qui a certes des idées «avancées» en 1898, mais elles n’annoncent pas celles de mai 1968 : « les passions, délivrées de toute contrainte, se déchaînèrent librement, les lois révolutionnaires ne contribuèrent qu’à grossir le torrent de corruption qui envahissait les villes et surtout Paris. Heureusement, les campagnes ne furent pas atteintes par la contagion »). Le Code de 1804 maintiendra le divorce mais en rendant la procédure beaucoup plus difficile, ce qui en limitera considérablement la pratique. Il sera finalement aboli sous la Restauration par la loi 8 mai 1816. Il ne fut rétabli que par la loi Naquet du 27 juillet 1884 et de manière restrictive, mais on assiste quand même à une croissance du nombre des divorces : 3000 en 1886, 15000 en 1913…

La loi n° 75-617 du 11 juillet 1975 portant réforme du divorce a constitué un retour au droit révolutionnaire, avec le divorce par consentement mutuel (Livre premier, Titre VI Du divorce,

Chapitre 1 Des cas de divorce, Section 1, Articles 230 à 232), le divorce accepté (Section 2, Articles 233 à 234), le divorce pour altération définitive du lien conjugal (Section 3, Articles 237 et 238), même si à côté de ces cas de divorce (le premier est très pratiqué) subsiste le divorce pour faute (jusqu’à 40% des cas : Section 4, Articles 242 à 246), le divorce reste une épreuve même si le législateur espère toujours le rendre moins traumatisant. Tout divorce emporte des conséquences matérielles : problème des prestations compensatoires créées en 1975 qui visent à corriger les effets du divorce sur les conditions de vie de chacun des ex – époux, le plus souvent l’ex - épouse (Articles 270 à 281), problème du logement (Article 285 – 1). Quand les ex – époux choisissent la garde alternée des enfants, il faut deux logements (et non plus un seul) susceptibles de les accueillir (en région parisienne ou dans les zones très urbanisées, cela a un coût financier). Les obligations nées du mariage concernant les enfants ne disparaissent pas avec sa dissolution : problème de l’exercice de l’autorité parentale par les parents divorcés

(Titre IX De l’autorité parentale, Chapitre 1 De l’autorité parentale relativement à la personne de l’enfant, Articles 371 à 381 ; Chapitre 2 De l’autorité parentale relativement aux biens de l’enfant, Articles 382 à 387).

Le Livre deuxième du Code civil est consacré à la propriété et le Livre troisième aux différentes manières d’acquérir la propriété. La France de la Révolution et de l’Empire est une France essentiellement rurale d’où l’accent mis sur la propriété foncière (qui se rattache à un fonds de terre ou à un bâtiment), sur la propriété immobilière. Le Titre 1er De la distinction des biens les range classiquement en immeubles et meubles (Chapitre 1 Des immeubles, Articles 517 à 526 ; Chapitre 2 Des meubles, Articles 527 à 536). L’article 544 du Code civil donne une définition du droit de propriété en termes remarquables : « Le droit de jouir et de disposer des choses de la manière la plus absolue pourvu qu’on en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements ». Qu’est – ce que ce droit « absolu » ? Doit – on y voir seulement l’exaltation d’un droit consubstantiel à la société libérale née de la Révolution ? L’article 544 ne ferait que confirmer que la propriété est bien un « droit naturel et imprescriptible de l’homme », «un droit inviolable et sacré» (Articles 2 et 17 de la Déclaration de 1789). Les termes de l’article 544 se comprennent à la lumière des modifications intervenues dans le régime de la propriété intervenues entre 1789 et 1804. La Révolution a posé les bases d’un nouveau régime de la propriété, en abolissant le régime « domanial » ou seigneurial alors en vigueur qui est emporté avec la « féodalité ».

Le régime de la propriété d’avant 1789 reposait sur la théorie dite du « double domaine » : les prérogatives attachées à la propriété étaient divisées entre deux personnes, le seigneur et son tenancier ou censitaire. La propriété ou dominium sous l’Ancien Régime n’appartient pas, comme en droit romain, à une seule personne. Il faut distinguer le domaine éminent ou direct du seigneur et le domaine utile du censitaire ou tenancier qui tient sa propriété (ou censive, ou tenure) du seigneur. Le domaine utile est grevé de charges réelles et son propriétaire doit payer au propriétaire du domaine direct ou éminent des droits réels ou redevances variées, fixes ou proportionnelles. Quand la redevance est fixée en argent, elle pouvait être élevée au XIIIe siècle, elle ne l’est plus à la veille de la Révolution du fait d’une érosion monétaire continue. Pour faire face à l’avilissement des monnaies, le cens a souvent été stipulé en nature : des mesures de blé, d’orge, de méteil, des volailles, des œufs à Pâques… Le champart constitue une redevance proportionnelle portant sur les récoltes de grains (une gerbe sur six, sur sept, sur onze ou douze). Le poids de ces droits est souvent très léger, économiquement très supportable, à la fin de l’Ancien Régime, sauf les droits de lods et ventes qui sont des droits de mutations… que l’on paye toujours mais à l’Etat ! Ces derniers sont d’un meilleur rapport pour le propriétaire du domaine direct.

La propriété du censitaire n’était donc pas « absolue », elle n’était pas libre puisque grevée de droits, mais les historiens du droit de propriété soulignent que depuis le XVIe siècle le domaine utile du censitaire n’a cessé de « grignoter » le domaine direct du seigneur. Le censitaire est regardé en 1789 comme le « véritable » propriétaire, et le domaine direct du seigneur ne fait que rappeler un antique lien social et juridique de dépendance… lien de sujétion pourtant très relâché, mais que la philosophie des Lumières récuse comme contraire à l’égalité et à la liberté. La Révolution fait du censitaire l’unique propriétaire d’un domaine de propriété réunifié : le législateur supprime le régime féodal (la célèbre « Nuit du 4 août ») et les droits dont était titulaire le propriétaire du domaine direct sont emportés dans la tourmente, sans indemnité ni rachat, contrairement à ce qui avait été prévu initialement. Le propriétaire du domaine utile n’aura finalement rien à payer. C’est une bonne affaire et le propriétaire délié du seigneur et de sa directe peut jouir et disposer de son bien de la manière la plus absolue.

Si la propriété est unifiée, le Code civil n’interdit pas les « services fonciers ». La servitude est définie par l’article 637 comme « une charge imposée sur un héritage pour l’usage et l’utilité d’un héritage appartenant à un autre propriétaire » (Rappel, v. supra). La distinction fonds dominant/ fonds servant est parfaitement compatible avec le nouveau régime de la propriété. Les servitudes constituent une « des différentes modifications de la propriété » admises par le Code (Livre deuxième, De la propriété et des différentes modifications de la propriété, Titre IV Des servitudes ou services fonciers, articles 637 à 710). La servitude constitue un démembrement « horizontal » de la propriété, mais le démembrement est « vertical » lorsqu’il y a dissociation entre la propriété du sol et la propriété du dessus (ou droit de superficie). Est – ce possible alors que l’article 552 du Code civil affirme que le propriétaire du sol a par accession la propriété du dessus (Titre II De la propriété, Chapitre 2 Du droit d’accession sur ce qui s’unit et incorpore à la chose) ? Oui, si l’on considère que l’article 553 attribue au propriétaire du sol la propriété de ce qui est « dessus » (plantations et constructions), « sauf preuve contraire » : preuve qui peut résulter d’un bail très courant dans l’ancien droit – le bail emphytéotique – sur lequel le Code civil garde un silence compréhensible. Ce bail (que nous avons déjà évoqué) vient du droit romain et est largement en usage sous l’Ancien Régime.

Ces caractéristiques ont servi aux juristes à poser la théorie du double domaine qui vient d’être condamnée… On se défie en 1804 des baux perpétuels ou de très longue durée. Affermer une terre à perpétuité, moyennant une redevance (en principe) irrachetable, a fait perdre son domaine éminent au seigneur. D’où la prudence du législateur qui perçoit « les dangers des baux perpétuels et même des baux à long terme qui tendent, d’une part, à affaiblir le droit de propriété entre les mains du propriétaire et à transformer le simple usage du preneur en un droit voisin de la propriété, de l’autre, à frapper le sol de charges éternelles et à faire du détenteur une personne juridiquement inférieure » (Philippe Sagnac, précité, p. 208). Cela ne condamne pas le droit de superficie implicitement reconnu par l’article 553, ni le bail emphytéotique qui sera consacré par la loi du 25 juin 1902 et est entré dans le Code rural (Article L. 451 – 1). Si le bail emphytéotique est renouvelable, il ne l’est pas par tacite reconduction (ce qui en aurait fait un bail quasi « perpétuel » et donc quasi translatif de propriété).

La Révolution ne s’en prend pas seulement au domaine direct, elle s’attaque aussi à la propriété « corporative » qui comprenait les domaines inaliénables et imprescriptibles, hors du commerce juridique, de la Couronne, du clergé, des hôpitaux, hospices et collège, des confréries. Il y a un rejet idéologique du législateur révolutionnaire des corps (ou groupements organisés et autorisés de personnes) qui structuraient la société d’Ancien Régime. Il ne doit exister aucun corps intermédiaire entre les individus et la Nation. Le domaine de la Couronne, devenu domaine de l’Etat – Nation, est aliénable et prescriptible, mais le XIXe siècle verra réapparaître les règles de l’inaliénabilité et de l’imprescriptibilité car elles apparaîtront nécessaires à la protection de certaines dépendances domaniales, celles qui constituent le domaine public (biens affectés à l’usage direct du public ou indispensables à l’exécution du service public), par opposition au domaine privé (biens qui sont susceptibles d’aliénation). Cette distinction entre deux domaines est inscrite dans l’actuel Code général de la propriété des personnes publiques (C.G.P.P.P.). Les biens ecclésiastiques deviennent propriété de la Nation, avant d’être vendus aux acquéreurs individuels de « biens nationaux ». La Révolution est donc l’occasion d’un transfert considérable de propriétés qui profite – encore une excellente affaire - aux bourgeois des villes (mais aussi à des nobles comme le comte Henri de Saint Simon, futur théoricien de l’économie industrielle), aux paysans (dans une moindre mesure).

On remarque que la propriété « libérée » et « unifiée » n’est pas déliée de l’Etat qui peut nationaliser des biens dans l’intérêt « général » : la nationalisation des biens du clergé est exemplaire et annonce toutes les nationalisations (suivies de dénationalisations) du XXe siècle. L’article 17 de la Déclaration de 1789 autorisait ce transfert forcé de propriété en indiquant que nul ne peut être privé de sa propriété «si ce n’est lorsque la nécessité publique légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité ». Disposition reprise par l’article 545 du Code civil : « Nul ne peut être contraint de céder sa propriété, si ce n’est pour cause d’utilité publique, et moyennant une juste et préalable indemnité ». C’était poser les bases tant de l’expropriation pour cause d’utilité publique que des nationalisations. Une loi du 8 mars 1810 fixera d’ailleurs les grandes lignes du régime de l’expropriation divisé en une phase administrative et une phase judiciaire : le juge judiciaire, gardien du droit de propriété prononce le transfert de la propriété et fixe le montant de l’indemnité. Ces règles figurent actuellement dans le Code de l’expropriation pour cause d’utilité publique. Si l’on ne peut priver l’homme de la liberté naturelle et imprescriptible de devenir propriétaire, l’Etat peut le priver de la propriété d’un bien dans l’intérêt général, moyennant une indemnité qui compensera cette privation par un équivalent monétaire.

Faut – t – il rappeler ici le débat opposant Rousseau à ses confrères philosophes ? Les uns considèrent que le droit de propriété préexiste à l’état social, dans l’état de nature ; Rousseau prétend que le droit de propriété est consubstantiel à l’état social : « Le premier qui ayant enclos un terrain s’avisa de dire : Ceci est à moi, et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la société civile », mais les hommes perdent la liberté et l’égalité dont il jouissaient dans l’état de nature (J. - J. Rousseau, Discours sur l’origine de l’inégalité parmi les hommes, Seconde partie). Comment rétablir la liberté et l’égalité entre les hommes ? Sous l’influence conjuguée de Rousseau et de Marx, certains ont pensé y parvenir en abolissant le droit de propriété des individus : l’Etat qui représente la collectivité des individus s’appropriera les terres et les moyens de production. La Révolution d’octobre 1917 permettra la mise en œuvre de ces belles idées dont les nationalisations françaises de 1936, 1946 et 1982 n’ont été que des tentatives de réalisation très partielle. On semble en revenir en France puisque l’on a depuis procédé à des dénationalisations.

Le développement, à certaines époques, de cette propriété collective au détriment du droit de propriété des individus, les limites apportés par le législateur aux conditions d’exercice de ce droit, ont parfois désespéré certains juristes qui y ont vu, un peu vite, une crise, un déclin du droit de propriété. Certes certains textes ont limité les droits des propriétaires sur leurs biens nourrissant ce pessimisme : la propriété d’un terrain ne vous autorise pas à y construire si les règles d’urbanisme s’y opposent ; la loi est intervenue très souvent pour organiser (et déséquilibrer ?) les rapports entre les bailleurs d’un bien (baux des maisons et des biens ruraux) et les preneurs (locataires, fermiers). L’évolution du droit de propriété sur la longue durée conduit au contraire à une vision plus optimiste des choses (Jean Carbonnier, précité, Chapitre XVII Le droit de propriété depuis 1914 ; Pour une approche sociologique du droit de propriété : Emile Durkheim, Leçon de sociologie, P.U.F., collection Quadrige, Leçons onze à quatorze, p. 228-292). Elle est marquée par une extension de son champ d’application à des domaines nouveaux non prévus par le Code de 1804. On a vu naître depuis le droit de propriété artistique et littéraire (et un Code de la propriété littéraire et artistique) qui confère à l’artiste et à l’écrivain le monopole d’exploitation pécuniaire de son œuvre pendant une certaine durée (au – delà de laquelle l’œuvre tombe dans le « domaine public » et peut être exploitée par tous). L’artiste ou l’écrivain touche alors ce que le grand public connaît sous le nom de droits d’auteur, juridiquement ce sont des redevances versées en exécution d’un contrat d’exploitation de l’œuvre : les débats juridiquement très complexes autour du téléchargement d’œuvres musicales ou autres sur internet concernent la propriété artistique et littéraire.

Il y a aussi la propriété industrielle qui confère – par exemple - ce même monopole d’exploitation à celui qui est titulaire d’un brevet d’invention, c'est-à-dire d’un titre de propriété industrielle sur une invention qui a fait l’objet d’un dépôt auprès de l’administration compétente. L’auteur d’un dessin ou d’une marque de fabrique jouit également de ce monopole, tout comme un industriel ou un commerçant jouit du droit exclusif d’utiliser un nom commercial ou une marque de fabrique permettant son identification. On regroupe parfois ces formes de propriété sous terme de propriété intellectuelle. Le droit de la propriété dite commerciale s’est développé et permet au commerçant, à l’artisan, à l’industriel, d’obtenir le renouvellement de son contrat de bail quand il expire, sauf si le propriétaire bailleur des murs préfère verser une indemnité d’éviction. Le droit au bail est un des éléments incorporels (avec le nom, l’enseigne, les marques et brevets, la clientèle…mais il y aussi les éléments corporels comme l’outillage et les marchandises) constitutif du fonds commerce qui est un meuble incorporel pouvant être cédé (vendu) par son titulaire.

La législation révolutionnaire et le Code de 1804 se sont surtout penchés sur la propriété foncière et ne prônaient pas la propriété collective : c’est en se fondant sur les articles 2 et 17 de la Déclaration du 26 août 1789 que le Conseil constitutionnel a pu affirmer la pleine valeur constitutionnelle du droit de propriété « dont la conservation constitue l’un des buts de la société politique et qui est mis au même rang que la liberté, la sûreté et la résistance à l’oppression » (Conseil constitutionnel, Décision n° 82 – 132 du 16 janvier 1982 relative à la loi de nationalisation, R. p. 18). C’est conforme à l’esprit du législateur de 1789 et de 1804 : il rêve d’une France de petits propriétaires libres et égaux en droits. Conception au demeurant économiquement archaïque alors que s’amorçait la révolution industrielle. La législation successorale du Code civil est à cette fin résolument égalitaire : « Par le morcellement à l’infini des fortunes, la législation successorale de la Révolution est un instrument de lutte contre les riches » (Philippe Sagnac, précité, p. 234).

Le législateur a eu la volonté de limiter la faculté de disposer des biens par testaments ou donations. Les termes de l’article 544 du Code civil autorisent une telle limitation du droit de disposer de ses biens. L’actuel Code civil reste fidèle à cette volonté puisqu’on ne peut disposer par donation entre vifs ou par testament que de la « quotité disponible » et que l’on doit laisser une portion de la succession aux héritiers dits réservataires (Livre deuxième, Titre II, Chapitre 3 De la réserve héréditaire, de la quotité disponible et de la réduction). L’individu n’a la libre disposition que d’une fraction de ses biens qui va en décroissant selon qu’il a un, deux, trois enfants et plus (Articles 913 et 913 – 1 du Code civil). Les libéralités ne peuvent excéder les trois quarts des biens si, à défaut de descendants, le défunt laisse un conjoint survivant non divorcé (Article 914 -1). L’évolution de la législation successorale est marquée par un renforcement considérable des droits du conjoint survivant non divorcé ou séparé de corps sur la succession. Il est ainsi récompensé de sa fidélité aux obligations du mariage. La loi n°2001 – 1135 du 3 décembre 2001 montre qu’il n’est plus le successeur « irrégulier » de 1804, mais un successeur à part entière : le Code civil distingue les « droits des parents en l’absence de conjoint successible » (Livre troisième, Titre I Des successions, Chapitre 3 Des héritiers, Section 1) et les « droits du conjoint successible » (Livre troisième, Titre I, Chapitre 3, Section 1, Articles 731 à 750). Sans entrer dans les détails qui relèvent du cours de Droit des successions et libéralités, on peut noter qu’en présence d’enfants communs, le survivant a le choix entre l’usufruit de la totalité des biens (la nu propriété va aux enfants) ou le quart en propriété (seule option si les enfants ne sont pas communs). Si le défunt ne laisse aucun enfant mais qu’il a encore ses père et mère, le conjoint a droit à 50% des biens en propriété (75% s’il n’a que son père ou que sa mère). La totalité de la succession lui échoit autrement avec deux correctifs : la moitié des biens en nature que le défunt tenait de ses père et mère revient aux collatéraux privilégiés ; les ascendants autres que les père et mère peuvent faire valoir une créance d’aliments.

La législation successorale montre que la famille patriarcale n’a jamais été le modèle du Code civil, c’est encore plus vrai aujourd’hui quand la famille est réduite aux parents, aux enfants communs et aux ascendants. La famille patriarcale (la gens romaine ou la famille noble d’avant 1789) se reconnaît dans un ascendant commun et a la prétention de traverser le temps en préservant l’unité du patrimoine familial qui doit rester indivis (non partagé). Le Code depuis 1804 préfère la famille éclatée, au fil des successions, de dimension réduite (la « domus » romaine). L’égalité successorale joue contre la concentration du patrimoine dans les mains d’un seul héritier ou d’une famille élargie qui ferait « corps » (Jean Carbonnier, précité, Chapitre XVIII, Les dimensions personnelles et familiales de la propriété). Cette vision égalitaire explique peut être la réserve des auteurs du Code de 1804 sur l’indivision. La situation juridique d’indivision existe chaque fois que des personnes deviennent propriétaires d’un bien ou d’un ensemble de biens en commun, avant que ne soit effectué un partage. S’il y a légalement indivision entre les cohéritiers au moment de l’ouverture d’une succession, les auteurs du Code de 1804, fidèles à leur idée égalitaire, ne souhaitaient pas voir cette situation perdurer d’où la rédaction initiale de l’article 815 : « Nul ne peut être contraint de demeurer dans l’indivision ; et le partage peut toujours être provoqué, nonobstant prohibitions et conventions contraires. On peut cependant convenir de suspendre le partage pendant un temps limité ; cette convention ne peut être obligatoire au – delà de cinq ans ; mais elle peut être renouvelée ». Pour éviter le morcellement à l’infini des fortunes et surtout celui des exploitations agricoles (qui s’est avéré peu satisfaisant sur le plan économique), la seule solution était la régulation des naissances (un seul enfant…) ou un changement de la législation successorale. Cette réforme interviendra par un décret – loi du 17 juin 1938 qui modifie l’article 815 en imposant le maintien de l’indivision qui concerne le ou les immeubles formant une exploitation agricole (Jean Carbonnier, précité, Chapitre XVIII, Les dimensions personnelles et familiales de la propriété).

On en est pas resté là et le Code civil consacre une large place à l’indivision en définissant un régime légal applicable à la gestion de tout bien indivis, aux droits et obligations des indivisaires (Livre Troisième, Titre I Des successions, Chapitre 7 Du régime légal de l’indivision, Articles 815 à 815 – 18). Ce régime légal est applicable de plein droit sauf stipulations contraires d’une convention puisque l’indivision peut naître d’une convention ou être maintenue ou organisée par convention. Des cohéritiers peuvent conclure une convention

relative à l’exercice de droits indivis (Livre troisième, Titre IX Des conventions relatives à l’exercice des droits indivis, Articles 1873 - 1 à 1873 – 18). Les droits d’un indivisaire sur le bien ou la masse des biens indivis peuvent être cédés à titre onéreux (« Nul ne peut être contraint de demeurer dans l’indivision (…)» : disposition inchangée), ou mis aux enchères par adjudication, mais tout

indivisaire (qui doit obligatoirement être informé) peut exercer son droit de préemption ou se substituer à l’acquéreur s’il ne veut pas voir entrer un « étranger » dans l’indivisions (Articles 815 – 14 et 815 – 15 du Code civil). Autre forme d’indivision organisée par législateur, mais non inscrite dans le Code civile, le régime de copropriété des immeubles bâtis est défini par la loi du 10 juillet 1965. Il repose sur la distinction entre les parties privatives et les parties communes. Cela nécessite une organisation collective étrangère à l’esprit des auteurs du Code de 1804 avec un syndicat de copropriétaires et adoption d’un règlement de copropriété.

Il est des formes de propriété « collective » pris en compte par le Code dès l’origine :

copropriété forcée et perpétuelle des clôtures si elles sont l’accessoire indivisible des deux immeubles qu’elles séparent (indivision forcée du mur mitoyen). Beaucoup plus important, surtout à notre époque où l’on divorce beaucoup, la communauté entre époux ou communauté conjugale constituée de tout ou partie de leurs biens formant une masse commune qui sera partagée lors de la dissolution du mariage (décès, divorce). Il s’agit de cette partie du Droit civil que l’on appelle le Droit des régimes matrimoniaux. Le Code civil établit une communauté légale, à défaut d’un contrat de mariage conclu entre les époux. En 1804, la communauté des meubles et acquêts (usuelle dans les pays de coutume) est retenue comme régime légal : tous les meubles entrent dans la masse commune (on ne tient compte ni de l’origine, ni de la date d’acquisition), ainsi que les immeubles acquis par les époux ensemble ou séparément pendant la durée du mariage par leur travail ou leur épargne. Les immeubles acquis avant le mariage ou pendant le mariage par succession ou donation restent les biens propres de chaque époux. Cette masse de biens communs est alors administrée par le mari sans le concours de la femme… Elle constitue l’actif commun qui répondra du passif commun. Le régime légal étant supplétif de volonté, les époux peuvent le modifier ou s’en écarter par toute espèce de conventions. Par contrat, la communauté conventionnelle peut être réduite aux acquêts, les époux peuvent exclure de la communauté tout ou partie de leur mobilier présent et futur, y faire entrer leurs immeubles présents et futurs, adopter la communauté à titre universel…

Pour mémoire, on se doit de citer le régime dotal qui était caractérisé par les biens dotaux inaliénables et insaisissables que la femme apportait au mari pour supporter les charges du mariage (à charge de restitution); les biens de la femme non constitués en dot sont dits paraphernaux et elle en a la jouissance. La grande réforme des régimes matrimoniaux interviendra en 1965 (Loi n° 65 – 570 du 13 juillet 1965). Elle s’inscrit, avec les modifications intervenues depuis cette date dans le Livre troisième, Titre V Du contrat de mariage et des régimes matrimoniaux. Cette réforme a abouti a faire de la communauté réduite aux acquêts (qui avait la préférence des notaires) la nouvelle communauté légale (Chapitre 2 Première partie

De la communauté légale, Articles 1400 à 1491). Entrent dans la communauté légale réduite aux acquêts tous les biens meubles ou immeubles acquis par les époux ensemble ou séparément pendant le mariage par le travail ou l’épargne, à l’exception des biens propres (biens acquis avant le mariage ou à titre gratuit pendant le mariage). La communauté des meubles et acquêts devient une des communautés conventionnelles (Chapitre 2 Deuxième partie : De la communauté conventionnelle, Articles 1498 à 1501l). Le régime dotal disparaît du Code civil. La communauté universelle qui comprend tous les biens et toutes les dettes présentes et futures des époux est maintenue (Article 1526). Le régime de séparation de biens permet à chacun des époux qui le stipulent dans le contrat de mariage d’administrer, de jouir et de disposer de leurs biens personnels (Chapitre 3, Articles 1536 à 1543). C’est le régime matrimonial choisi le plus souvent par les commerçants ou par ceux qui ont du bien. Le régime de participation aux acquêts fonctionne pendant la durée du mariage comme le régime de la séparation, mais les choses sont plus compliquées à la dissolution : « chacun des époux a le droit de participer pour moitié en valeur aux acquêts nets constatés dans le patrimoine de l’autre, et mesurés par la double estimation du patrimoine originaire et du patrimoine final ». Ce droit est cessible pour cause de mort aux héritiers (Chapitre 4, Articles 1569 à 1581).

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